Bonjour,

Recherche rapide

Menu recherche

Bienvenue sur Alexandrie !
Fonds documentaire : Article
Titre L'islam en France
Source Sciences humaines
Date de parution 01/07/2010
Commentaire L’islam est, par son nombre de fidèles, la deuxième religion pratiquée en France. Pourtant, les différentes cultures musulmanes françaises restent mal connues. État des lieux… Un islam à la carte Manger halal, boire du Mecca-Cola et s’habiller en muslim classic. On assiste à l’essor d’une ère du «business ethnique» qui interroge sur le sens à donner à l’actuelle expansion de l’islam dans la société française. S’agit-il d’une référence identitaire ou d’un véritable engouement religieux?? À en croire notamment les résultats d’une enquête Ifop parue en 2009, l’aspect identitaire semble prédominer. L’expansion religieuse se serait traduite par la seule hausse des pratiques dites «?collectives?»?: prière à la mosquée, jeûne du ramadan et port du voile. Le taux déclaré de fréquentation des lieux de culte pour la prière du vendredi aurait doublé en quinze ans?: 12?% en 1994 contre 23?% en 2007. Ce sont ici les aînés qui restent les plus concernés?: 41?% des plus de 55 ans contre 23?% des 18-35 ans. Pratique «?sociale?» par excellence, c’est le ramadan qui fait de plus en plus d’émules?: 70?% de personnes interrogées entre 2001 et 2009 affirment le suivre (60?% en 1994). Et ce presqu’autant chez les jeunes que chez les vieux. En revanche, la pratique de la prière individuelle est stable depuis les années 1990, et divise fortement les générations?: 28?% des jeunes disent prier quotidiennement contre 64?% des plus de 55 ans. D’autres éléments étayent la thèse d’une dimension plus identitaire que religieuse de l’expansion de l’islam?: les «?croyants?» et «?croyants pratiquants?» déclarés sont moins nombreux qu’en 2001, alors que ceux se définissant simplement comme «?d’origine musulmane?» le sont plus (16?% en 2001, 25?% en 2007). Par ailleurs, le mariage mixte des femmes (proscrit par l’orthodoxie musulmane) est clairement entré dans les mœurs?: 56?% des «?musulmanes pratiquantes?» l’acceptent, comme 86?% des «?musulmanes non pratiquantes?» et 94?% des femmes affirmant n’être que «?d’origine musulmane?». Selon le politiste Franck Frégosi, ces modes de croire se répartissent ainsi?: «?l’islam visible des croyants pieux et dévots?», fondé sur l’observance soutenue des obligations et interdits (36?%), «?l’islam subjectif des croyants non pratiquants?», qui se reconnaissent dans des valeurs sans affichage de pratiques (42?%), «?un islam minimaliste des personnes d’origine musulmane?», donc réactionnel ou identitaire (16?%) (1). Loin d’une quelconque «?communautarisation?» du fait musulman, les spécialistes témoignent d’une approche de plus en plus individuelle du rapport à l’islam. NOTE (1) Franck Frégosi et Ahmed Boubekeur, L’Exercice du culte musulman en France. Lieux de prière et d’inhumation, La Documentation française, 2006. Polémique sur les chiffres Les spécialistes dénombrent entre 4 et 6 millions de personnes de confession musulmane en France, soit près du tiers des musulmans résidents de l’Union européenne aujourd’hui. Des chiffres qui, au regard des méthodes de comptage employées, peuvent parfois paraître comme «?sortis du chapeau?» de leurs auteurs. La fourchette haute des 6 millions (ou plus) de musulmans en France semble plus l’œuvre de prosélytes musulmans ou d’agitateurs du spectre du «?péril vert?» que d’enquêtes statistiques sérieuses. Celles-ci sont de toute façon contrariées par l’interdiction de retenir les critères ethniques ou religieux dans le cadre du recensement de la population française. En Europe, seule la Grande-Bretagne collecte, depuis 2001, des informations sur les affiliations religieuses de ses résidents. Face à cette interdiction en France, inspirée par le principe de laïcité et en vigueur depuis 1872, chercheurs et démographes s’appuient majoritairement sur les données des recensements relatives aux populations d’origine étrangère pour estimer le nombre de fidèles de l’islam en France. Des «?musulmans sociologiques?», estimés à environ 5 millions d’individus (1), qui se voient imputés le label «?musulman?» sur la seule base de leur origine ethnico-culturelle. Un chiffre auquel il faut ajouter les Français convertis et les étrangers en situation irrégulière, qu’aucune étude fiable ne permet aujourd’hui de chiffrer. Pourtant, à l’heure des troisième et quatrième générations dites «?issues de l’immigration?», la pertinence d’un chiffrage sur la filiation ethnoculturelle – laquelle ne dit strictement rien en matière de rapport à la foi et à la communauté des croyants – pose problème. C’est à ce titre, et pour tenter de corriger ces lacunes, que se multiplient aujourd’hui nombre d’enquêtes d’opinion relatives au sentiment d’appartenance et à la pratique religieuse. NOTE : (1) Bernard Godard et Sylvie Taussig, Les Musulmans en France. Courants, institutions, communautés?: un état des lieux, Hachette, 2007. Des citoyens ordinaires C’est en grande partie sur des clivages générationnels que les pratiques religieuses divergent. Les premières générations de musulmans immigrés en France ont vécu leur islam sur un mode communautaire et invisible, et n’aspiraient qu’à «?rentrer au pays, en évitant si possible les effets de contagion de la société d’accueil (1)?». Cette discrétion a également valu sur le plan de l’engagement politique et citoyen. Avec l’apparition de générations de musulmans nés et socialisés en France, les choses ont changé. Et c’est aujourd’hui sans tabou – mais le plus souvent sans bruit – que des milliers de citoyens ordinaires se revendiquent de la double appartenance «?citoyenne et musulmane?» et rendent visible leur identité religieuse dans l’espace public?: port du voile, ramadan, prière, etc. Ces citoyens se retrouvent dans l’ensemble des catégories sociales et des secteurs professionnels, et notamment dans la fonction publique. Par exemple, les jeunes Français musulmans, notamment issus des cités, sont de plus en plus nombreux dans l’armée?: avec ou sans diplôme, elle leur offre une stabilité professionnelle, un statut social et le permis de conduire?! Mais le caractère très majoritaire de cette conciliation harmonieuse entre francité et islamité n’empêche pas que préjugés et caricatures de femmes voilées et de barbus fanatisés persistent dans le paysage national. Ainsi du spectre d’une menace pour la République et la démocratie que des responsables politiques en crise de légitimité n’hésitent pas à agiter à intervalles réguliers, notamment à travers les différentes affaires du voile. Des usages politiques que le sociologue Olivier Roy rapporte au fait qu’«?à travers l’islam, la France vit sa crise d’identité (2)?». NOTE : (1) Vincent Geisser, Nous sommes français et musulmans, Autrement, 2010. (2) Olivier Roy, La Laïcité face à l’islam, Stock, 2005. Quelle est la politique des pouvoirs publics ? Après avoir longtemps «?sous-traité?» la gestion de l’islam en France aux États étrangers (maghrébins en tête), le processus d’institutionnalisation de cette religion a débuté en 1989 sous l’impulsion de Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur. C’est le contexte de montée de l’islamisme au Maghreb (victoire du Fis en Algérie) et de visibilité croissante de l’islam dans le paysage national qui a induit cette volonté d’organisation de l’islam. Les objectifs sont alors de faire émerger un islam de France modéré?; et de lutter contre la situation de discrimination de fait de l’islam (mauvaises conditions de pratique du culte, absence de représentation institutionnelle, etc.) (1). Ce n’est pourtant qu’en 2003, quand Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur, que naît le Conseil du culte musulman au niveau national (CFCM) et régional (CRCM). Cette instance prend en charge toutes les questions liées à la gestion du culte (formation des imams, aumônerie, construction des lieux de culte, commerce halal, carrés musulmans dans les cimetières). Mais l’islam de France peine à émerger et reste la chasse gardée à la fois des politiques et des consulats du Maghreb. En 2003 et 2005, malgré ses mauvais scores électoraux, la Mosquée de Paris (proche d’Alger) a été cooptée à la tête du CFCM par le ministre de l’Intérieur lui-même. Autre exemple?: à Montpellier, les deux grandes mosquées de la ville sont sous statut de salles polyvalentes municipales, ce qui permet au maire de nommer (et limoger) les leaders musulmans de son choix. Des pratiques peu laïques qui s’expliquent au regard des enjeux relatifs au contrôle d’une religion régulièrement présentée comme une menace. Les pouvoirs publics ont aujourd’hui pris acte du manque de lieux de culte (2?000 en France pour 5 millions de musulmans, contre 2?500 en Allemagne pour 3,5 millions de fidèles) et de leur déficit de représentativité. Après des années marquées par l’hésitation, les élus locaux développent des politiques plus volontaristes en matière de construction de mosquées. Pas moins de 150 grandes et moyennes mosquées sont aujourd’hui en projet. Conçus comme de véritables centres cultuels et culturels (bibliothèques, salons de thé, etc.), ces espaces sont en partie financés par les municipalités (pour les aspects culturels). Ce financement permet de maintenir un certain contrôle sur ces lieux et leur personnel d’encadrement. L’enjeu qui se pose aujourd’hui aux élus est de doter les mosquées de cadres religieux représentatifs des évolutions de l’islam en France, et susceptibles de capter l’attention des plus jeunes. Mais aussi de satisfaire des électeurs potentiels pouvant être sensibles aux marques de respect de leur religion. NOTE (1) Claire de Galembert, «?L’islam à l’épreuve de la dérégulation étatique du religieux?», in Rémy Leveau, et al. (dir.), L’Islam en France et en Allemagne, la Documentation française, 2001. Quels sont les grands courants ? Impossible de rendre compte ici de la multiplicité des courants de l’islam en France. Tentons toutefois un tour d’horizon de ceux qui alimentent le plus le débat public. • L’«?islam consulaire?» s’est traditionnellement inscrit dans le paysage national avec les premières générations d’immigrés algériens, marocains et turcs. Il concerne une religiosité développée à partir d’un lien fort avec le pays d’origine, lequel a souvent permis son financement et assuré un contrôle sur ses membres. L’islam algérien, représenté par la Mosquée de Paris et très sensibilisé aux valeurs laïques, a longtemps été coopté par les pouvoirs publics à la tête de l’islam en France, et ce malgré un faible ancrage dans le terrain associatif. L’islam marocain est majoritaire chez les musulmans pratiquants (plus de 40?% des imams et la majorité des gestionnaires des lieux de culte sont marocains). Une réalité qui induit qu’il préside depuis 2008 le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 afin d’institutionnaliser la présence de cette religion dans le paysage national. Encore largement majoritaire dans la gestion des mosquées et du CFCM, cet islam des consulats est toutefois peu ancré dans les évolutions sociologiques de l’islam en France. • L’islamisme des Frères musulmans a tenté de combler le déficit de représentativité de l’islam consulaire à partir des années 1980. Principalement issue de l’exil d’islamistes tunisiens, syriens et égyptiens, cette mouvance est aujourd’hui incarnée à travers la très structurée Union des organisations islamiques de France (UOIF), et par des collectifs proches de l’islamologue suisse Tariq Ramadan. Très active sur le terrain social, l’UOIF, implantée en France depuis 1983, fédère plus de 200 associations et 60 mosquées. Mais ses postures d’allégeance politique et son entrée au CFCM l’ont coupée de ses adhérents les plus jeunes et revendicatifs. Ces derniers ont parfois rallié l’entourage de T. Ramadan, tels que le Collectif des musulmans de France (CMF) créé en 1993. Peu institutionnalisé, le CMF présente des leaders socialisés en France, qui se légitiment par leur condamnation politique du statut de seconde zone de l’islam et des immigrés en France. Si T. Ramadan reste une référence pour la jeunesse musulmane, il a vieilli (48 ans), à l’image des membres du CMF, qui peine à trouver dans la jeunesse d’aujourd’hui de nouveaux relais à son militantisme politico-religieux. C’est dans cet espace laissé vacant par l’échec de l’islam politique que s’immiscent les fondamentalistes du Tabligh et du salafisme. • Le Tabligh est un mouvement sectaire, apolitique, non violent et de tradition mystique. Il a rencontré un franc succès en France depuis les années 1970, tant auprès d’une jeunesse en déshérence morale que de chanteurs de rap ou de sportifs de haut niveau. Ces «?témoins de Jéhovah de l’islam?» observent un conservatisme moral très poussé, et des rites répétitifs désocialisants et aliénants pouvant susciter de fortes détresses psychologiques. Mais «?leur austérité trop contradictoire par rapport aux valeurs consuméristes qui dominent dans les quartiers (1)?» fait qu’ils sont de plus en plus concurrencés par les salafis cheikhistes. • Les salafis cheikhistes contrôleraient près de 30 lieux de culte sur 2?000 en France. Soit 5?000 à 10?000 fidèles. Un chiffre en augmentation, selon les spécialistes. À la différence des salafis jihadistes, idéologiquement proche d’Al-Qaïda mais ultraminoritaires, les salafis cheikhistes défendent une vision apolitique et non violente de l’islam. Avec une moyenne d’âge de 25 ans, ils forment une minorité active et militante, notamment dans les quartiers difficiles (2). L’idéal salafi est d’aligner sa vie sur les fatwas rigoristes des savants saoudiens, et d’accomplir sa hijra, son installation en terres saintes saoudiennes, loin des impies. Le salafisme se situe à la fois dans la globalisation avec son usage d’Internet et ses contacts avec les théologiens saoudiens (fatwas par téléphone…) et dans le microréseau local (la bande). La vraie menace que présente le salafisme ne réside pas dans une «?communautarisation?» ou l’action violente, mais plutôt d’une volonté de rupture avec la société globale. Mais après quelques années d’évolution en France et la naissance d’une petite bourgeoisie pieuse salafie, le courant apparaît plus pragmatique et prêt au compromis avec la société d’accueil (3). NOTES : (1) Interview d’Ahmed Boubekeur, «?La France face à ses musulmans?: émeutes, jihadisme et dépolitisation?», International Crisis Group, mars 2006, www.conflictprevention.net (2) Samir Amghar (dir.), Islamismes d’Occident. État des lieux et perspectives, Lignes de repères, 2006. (3) Mohamed-Ali Adraoui, «?Être salafiste en France?», in Bernard Rougier, Qu’est-ce que le salafisme??, Puf, 2008. Comment être musulmane et européenne ? Incarnation de la sensualité raffinée ou figure de la soumise recluse, la femme musulmane est historiquement porteuse des fantasmes orientalistes. Dans l’ordre des représentations collectives, les femmes de confession musulmane semblent ne pouvoir appartenir qu’à deux catégories exclusives?: les féministes/modernes sans véritable pratique religieuse?; ou les conservatrices/rétrogrades, tour à tour victimes ou complices d’un archaïsme religieux. Pourtant, au regard des travaux sur l’islam féminin en Europe, ces schèmes réducteurs s’effondrent. Ainsi, en 2008, la sociologue Sarah Silvestri a publié une étude issue d’une cinquantaine d’entretiens effectués auprès de musulmanes européennes (majoritairement âgées entre 20 et 40 ans et résidant en milieu urbain), au cours desquels toutes ont témoigné d’une religiosité fondée sur un choix libre et individuel. L’islam y apparaît comme «?la source d’une moralité personnelle que l’individu est libre d’adopter (1)?». Cette jeune génération rejette l’approche ethnique et coutumière de la foi, fortement discriminante pour la femme. Des pratiques patriarcales et archaïques qui pèsent encore sur l’émancipation interne de ces musulmanes d’Europe. Certaines ont d’ailleurs parfois décidé de s’isoler du type de vie occidental, à l’image de ces quelques centaines de salafies en France qui arborent un niqab (voile intégral). Mais chez la jeune génération, de plus en plus nombreuses sont celles qui se profilent comme des individus indépendants et déterminés. Une autonomie acquise sur un mode inédit?: une instruction scolaire toujours plus poussée, doublée d’un accès indépendant aux connaissances religieuses. Qu’elle porte ou non le hijab, la musulmane d’aujourd’hui travaille, s’intègre harmonieusement dans la société globale, privilégie le mariage d’affinité et une conjugalité fondée sur le partage des responsabilités et des tâches domestiques, voire se réapproprie sa sexualité. Des pratiques qui la distinguent fort de ses aînées, si peu de ses concitoyennes du même âge. NOTE (1) Sarah Silvestri, Europe’s Muslim Women: Potential, aspirations and challenges, King Baudouin Foundation, 2008. Bibliographie Les Musulmans en France Courants, institutions, communautés?: un état des lieux Bernard Godard et Sylvie Taussig, Hachette, 2007. Marianne et Allah Les politiques français face à la question musulmane Vincent Geisser et Aziz Zemouri, La Découverte, 2007. La Laïcité face à l’islam Olivier Roy, Stock, 2005. Les Frères musulmans en Europe Racines et discours Brigitte Maréchal, Puf, 2009.
Mots-clés ISLAM / FRANCE / LAICITE
Langue Français

Connexion

Identifiant
Mot de passe
A la semaine prochaine !