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Fonds documentaire : Dossier thématique
Titre L'étude de cas théoriques ou les limites d'une pédagogie
Source Ethique et santé
Auteurs QUINCHE F
Date de parution 01/01/2004
Commentaire La plupart des méthodes traditionnelles de pédagogie de l'éthique médicale visent essentiellement d'une part à sensibiliser les professionnels aux problèmes éthiques contemporains, ainsi qu'aux grands principes de la bioéthique et d'autre part, à l'acquisition de capacités argumentatives et délibératives. Il nous semble cependant que ces études de cas théoriques et exercices d'école négligent des éléments nécessaires au développement d'aptitudes essentielles à une insertion de l'éthique dans les pratiques quotidiennes. Se limitant trop souvent au niveau rationnel et argumentatif des problèmes éthiques, elles en manquent les dimensions plus concrètes, dont la constitution même de la situation de départ, tout comme les moyens de reconstituer ces informations. Des meilleures capacités relationnelles et de communication devraient ainsi être développées au sein même des équipes et partenaires. Mots clés : communication , dialogue , étude de cas , pédagogie , information , pédagogie , argumentation Plan Masquer le plan Du cas d'école à une transformation des pratiques Conclusion Références La plupart des exercices de pédagogie se basent sur un ensemble de cas problématiques, par exemple sous forme d'un texte décrivant telle ou telle situation fictive ou réelle. Les étudiants raisonnent ensuite sur le cas présenté en se référant à des modèles d'argumentation, le plus souvent en s'interrogeant à partir des notions de bienfaisance, d'autonomie, ou de justice etc. Si cette pratique est largement répandue, et certes utile pour développer les capacités argumentatives, elle néglige cependant le fait qu'une des spécificité des problèmes d'éthique médicale consiste précisément en leur complexité. La rédaction du cas par une seule des personnes impliquées (ou seulement par l'équipe soignante) ne permet pas de mettre en avant l'ensemble des perspectives en question ; en effet se mêlent très souvent divers éléments qui dépassent souvent le simple cadre médical et rejoignent des questions aussi bien d'ordre social, économique, familial que psychologique. Mais surtout le fait de proposer comme base de réflexion un texte déjà constitué n'est pas anodin, car c'est déjà dans la rédaction même dans la narration du problème que se joue en grande partie notre perception du cas. Les termes choisis tout comme les éléments sélectionnés pour décrire une situation vont d'emblée orienter le cadre de la réflexion qui suivra. En ce sens, l'idée qu'une situation peut simplement être décrite est trompeuse, car une description préétablie d'une situation n'existe nulle part. Toute description est une reconstruction, qui sélectionne des éléments qu'elle considère comme significatifs et en délaisse d'autres. En ce sens, une situation est toujours déjà une élaboration et non pas un simple décalque de la réalité factuelle. Dans des situations aussi complexes que celles qui apparaissent dans la pratique quotidienne de la clinique, il est nécessaire de mettre en avant la pluralité des acteurs en cause (le patient, sa famille, les soignants, les aides à domicile, la psychiatre, le juge etc.), et donc la multiplicité des points de vue qui en découle. Éclatement donc d'un présupposé tenace : la situation n'est pas d'emblée une, elle n'est pas préexistante-mais apparaît comme diverse et donc toujours à reconstruire . Toute description est une reconstruction, qui sélectionne des éléments qu'elle considère comme significatifs et en délaisse d'autres. Autre présupposé mis à mal : une situation n'est pas simplement composée de faits bruts (médicaux, économiques ou historiques) mais de faits ou d'événements pensés-à partir d'un point de vue, voire d'un domaine différent. En l'occurrence, nous sommes dans un contexte global de soin, le soin étant par essence basé sur la relation soignant-soigné, ces différentes significations ne peuvent se comprendre hors de la relation. Mais cette dernière est d'emblée plurielle car aspectualisée selon la perspective de chaque acteur. En effet le soin se situe dans un ensemble d'autres type de relations (filiales, soignant-soigné, rapport d'employeur-employé, etc.) et donc doté d'une multiplicité de significations possibles. Reconstruire une situation n'est donc pas simplement mettre à jour un ensemble de faits, à partir d'indices comme dans une énigme policière par exemple- mais vise à comprendre ce qu'une situation signifie pour les différents acteurs engagés et comment ces significations peuvent s'élaborer de manière relationnelle. Le sens d'un acte ou d'un discours ne dépendra pas seulement de celui qui l'accomplit ou l'énonce, mais aussi de la manière dont il sera compris et pensé par les autres personnes impliquées dans la relation. Le sens n'est donc pas en possession d'un seul- aucun domaine (qu'il soit économique, social, médical ou religieux) ne peut à lui seul définir la signification d'une situation complexe. Haut de page - Plan de l'article Du cas d'école à une transformation des pratiques L'analyse de cas-types ou d'exemples fictifs s'avère ainsi tout-à-fait insuffisante pour apporter de nouvelles compétences, notamment en ce qui concerne la reconstitution de l'information, puisque précisément ces cas exposent l'ensemble des éléments du problème comme des données déjà établies. Notre postulat étant précisément que la capacité à reconstruire les situations complexes fait partie intégrante de l'acquisition d'une compétence éthique : la manière dont on pose le problème est en quelque sorte déjà une affaire d'éthique. Mais comment acquérir une telle compétence ? La discussion, non pas de cas fictifs et déjà « formatés », mais le travail sur des cas réels et vécus peut permettre de prendre la mesure des enjeux de la description même d'une situation. La manière dont on pose le problème est en quelque sorte déjà une affaire d'éthique. C'est aussi à cela que contribue le dialogue par exemple lors d'un colloque entre une équipe de soin, le patient et sa famille qui incarnent différents modes de relation au patient : mise en commun des informations - non seulement - mais surtout la possibilité d'exprimer comment les faits sont compris - ou interprétés lorsqu'on ne peut pas les comprendre ; ou encore comment ils sont ressentis. L 'absence d'information sur telle ou telle perspective, par exemple la manière dont la maladie et le handicap sont vécus par le patient sera tout particulièrement significative. Ces lacunes peuvent signaler que la situation n'a pas été reconstruite correctement. La description du cas manque alors certains aspects du problème. Ces déficiences, qui ne sont bien entendu pas toujours surmontables, risquent cependant d'influencer l'ensemble de la réflexion et de la délibération qui suivra. D'où l'importance de ne pas simplement apprendre à réfléchir sur des exemples de cas rédigés par d'autres, mais de percevoir ce qu'implique déjà une description pré-donnée. Une pédagogie de l'éthique qui se veut réellement efficace ne peut ainsi négliger de proposer une méthode de reconstitution même des cas, à savoir d'un apprentissage préalable de l'écoute des divers acteurs afin d'acquérir par la discussion une vision plus large et plus complète. L'étude de cas se limitant trop souvent à la confrontation des diverses argumentations possibles, elle néglige le plus souvent les compétences relationnelles et communicatives nécessaires à une reconstitution authentique des situations. Reconstruction qui demande que l'on s'intéresse tant aux éléments « objectifs » que subjectifs et personnels. Chacun des participants apporte ainsi une pièce au caléidoscope-décalée dans l'espace ou dans le temps, mais qui permet de rendre chair à cette situation. C'est pourquoi il est nécessaire d'apprendre à questionner, à interroger de manière à donner la parole aux personnes concernées afin qu'elles puissent contribuer à la reconstitution même du problème. Un tel a connu le patient avant son accident, pendant plusieurs années, un autre dans un contexte différent, hors du milieu médical etc. Chacun de ces points de vue permettra de mieux situer le problème ainsi que les solutions envisageables. Chaque personne convoquée apporte une certaine perspective qui complète celle des autres participants. Des éléments nouveaux peuvent être apportés par les différents acteurs (psychiatre, infirmière à domicile, assistante sociale, amis, proches, etc.) et qui ne seraient tout simplement pas apparus ou n'auraient pas été mis en évidence dans un simple descriptif du cas. Un exemple réel tiré d'un atelier d'éthique 1 , où l'équipe soignante s'interroge sur des cas problématiques qu'elle a vécu difficilement peut illustrer ce processus de reconstruction de l'information par le dialogue. La pédagogie rejoint ainsi la pratique de manière très étroite, ce qui est discuté dans l'atelier ayant des incidences directes sur la pratique des soins dans les équipes concernées. Il ne s'agit plus là de s'interroger de manière abstraite et détachée sur de situations-types, mais d'apprendre à communiquer ensemble de manière à éviter que ce type de problèmes ne se reproduisent. Le travail éthique ne se limite plus simplement à appliquer les grands principes de la bioéthique au cas en question, exercice purement rationnel et théorique, mais acquérir de nouvelles compétences relationnelles. L'exercice de discussion du cas vécu permettant aux différents acteurs de se rencontrer, car ils n'ont souvent pas eu l'occasion de le faire, et par là même d'entendre d'autres points de vue notamment sur le plan des disciplines (aspects sociologiques, juridiques, médicaux, psychologiques etc.), mais aussi sur le plan relationnel (soignants, amis, parents, etc.) Les personnes s'interrogeant sur le cas en question transforment ainsi leurs aptitudes communicationnelles et relationnelles au sein même de l'équipe concernée, par exemple en apprenant à développer leurs capacités à écouter et questionner autrui. On est là bien loin de l'exercice scolaire de résolution de cas théoriques pratiqué dans nombre d'universités et de départements d'éthique sans qu'aucun lien avec des situations concrètes ne soit établi et qu'aucun instrument ne soit donné pour permettre une amélioration de ces aptitudes à communiquer ensemble, à écouter. Lors d'une réunion réunissant une équipe soignante ce n'est qu'après une longue discussion que l'on comprend enfin un des éléments expliquant le refus catégorique de la patiente de rester en établissement médico-social. L'aide à domicile qui connaissait la patiente depuis de nombreuses années, et qui n'avait jamais été en contact avec l'équipe soignante hospitalière, explique le vif désir de retour à domicile en évoquant les animaux que la patiente possédait et dont elle ne pouvait s'occuper en restant à l'hôpital. Dans le même exemple d'une patiente présentant un comportement difficile, certains jugements de valeurs sous-jacents aux décisions prises ne surgissent parfois qu'à l'occasion d'une discussion : la patiente sera qualifiée oralement de « marginale », élément qui n'était jamais apparu comme tel dans les discussions préalables, où le comportement dérangeant de la patiente était décrit en termes purement psychologiques. Face au résumé unilatéral d'un cas, au cours de la discussion, peuvent apparaître des voix discordantes. D'autres significations possibles de l'attitude de la patiente sont mises en évidence. Peut-être que l'interprétation de l'équipe soignante ayant décrit le cas n'était pas entièrement neutre, et que le problème n'est pas simplement à mettre sur le compte de difficultés caractérielles. Le dialogue permet de combler les visions tronquées et nous aide à sortir de la simple interprétation (qui est par définition unilatérale et subjective) d'une situation pour s'orienter vers une compréhension . Mais il convient également de rappeler les limites de cette approche dialogique, il est évident qu'en contexte médical, la personne directement concernée se trouve parfois dans l'incapacité de participer aux discussions. Dans ces situations-limites, le dialogue apparaît comme d'autant plus nécessaire, car ce n'est que grâce à cet instrument, en interrogeant les proches et ceux qui côtoyaient le patient que l'on pourra tenter de connaître ce qu'il aurait désiré, ou refusé. C'est pourquoi un apprentissage de la réflexion éthique ne peut se passer d'une pédagogie de l'interrogation, de l'écoute et du dialogue, c'est-à-dire de l'apprentissage préalable d'une éthique et d'une pratique de l'information. Face au résumé unilatéral d'un cas, au cours de la discussion, peuvent apparaître des voix discordantes. Quelques limites seront néanmoins à poser : éviter le psychodramme (ou tomber dans le tout émotionnel) où l'objectif n'est plus alors que de soigner les soignants et on s'éloigne alors d'une démarche éthique, l'autre étant perdu de vue ; se distancier aussi la simple justification – qui a tendance à se substituer à l'interrogation-et aboutit souvent à une cécité relationnelle. Car on tombe alors dans la simple déontologie corporatiste, où le groupe justifie ou condamne les actes d'un de ses membres selon les codes de la profession ; ne pas perdre de vue l'objectif du dialogue : comprendre la situation dans toute sa complexité permettre aux différents acteurs d'en voir les multiples facettes : que chacun sorte de son prisme individuel pour apercevoir le sens donné aux faits par les autres. Cette étape n'est pas négligeable, bien au contraire, elle est primordiale. Car rien ne sert de dire que l'on est attentif à l'autre si l'on est pas prêt à l'écouter et à entendre sa version des faits ; de même, du côté du patient, entendre comment son attitude peut être ressentie et vécue par les soignants constitue déjà une transformation de sa compréhension même de la situation-et donc d'une certaine façon du sens de ses propres actes. Difficile de rester indifférent au dialogue. Un apprentissage de la réflexion éthique ne peut se passer d'une pédagogie de l'interrogation, de l'écoute et du dialogue. Cette première étape de reconstruction de la situation n'est bien entendu qu'un préalable à la délibération éthique, mais elle est particulièrement importante, car c'est précisément à partir de ces éléments que pourra se déployer une délibération. Comme on le voit dans le bref programme qui suit : reconstituer l'ensemble des faits significatifs au sein du réseau des acteurs concernés et de leurs différents types de relations ; donner le sens de ces faits pour les personnes concernées ; montrer où la situation fait problème et pour qui ; rechercher des solutions à ces problèmes qui soient en accord tant avec les valeurs et code de la profession qu'avec ceux du patient ; faire un choix avec le patient entre les différentes possibilités. Haut de page - Plan de l'article Conclusion Si les premières étapes (a, b) de la réflexion comme nous avons tenté de le montrer s'avèrent primordiales, car de la manière dont les faits sont décrits dépendront les éléments et la structure même du problème (c), tout comme les solutions qui seront possibles et envisageables (d, e.), elles ne constituent cependant pas la totalité d'une réflexion éthique. Cette investigation sur un renouvellement possible des pratiques pédagogiques se poursuivra dans un prochain article d'un autre membre de cette équipe de recherche, qui en tant que médecin s'interrogera sur la spécificité d'une éthique de la médecine dans la conduite même des délibérations (étapes c, d et e) et par là même sur le recours à des normes internes-propres à l'exercice de cet art. Haut de page - Plan de l'article Références [1] Dewey J. (1938). Logique, la théorie de l'enquête, trad. de Logic : The Theory of Enquiry, par G. Deledalle Paris : Puf, 1993, Deuxième partie : La structure de l'enquête et la construction des jugements. [2] Barwise J, Perry J. Situations and Attitudes, Cambridge, Mass. MIT Press, 1983. [3] Jacques F. Sur la notion de dialogue informationnel : Dialogiques, Paris : Puf, 1979. [4] Quinche F. « Plaintes de patients et communication en médecine. Contribution des philosophies du questionnement ». Journal International de Bioéthique, n° 2, juin 2001, p. 95-111. « Analyse textuelle des plaintes de patients en milieu hospitalier ». Revue médicale de la Suisse romande , n° 121, 2001, p. 837-43.
Mots-clés PEDAGOGIE / COMMUNICATION / CAS CONCRET
Langue Français
Origine Téléchargement
URL https://www-em-premium-com.accesdistant.sorbonne-universite.fr/article/82766/resultatrecherche/2


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