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Fonds documentaire : Article
Titre L'éthique à l'hôpital
Source Sciences humaines
Date de parution 25/04/2015
Commentaire La philosophie de la santé pose une question qui va bien au-delà de la relation médicale?: qu’est-ce qu’être autonome quand nos capacités nous lâchent?? La médecine partage avec la philosophie un intérêt pour la valeur et la signification de l’existence humaine. Quand l’une côtoie la mort, la souffrance et la douleur au quotidien, l’autre essaie de saisir par les concepts et les théories le sens de ce qui vaudrait la peine d’être vécu. Si entre l’une et l’autre, les relations ont pu être passionnées et conflictuelles, les philosophes sont aujourd’hui de plus en plus sollicités dans les hôpitaux. Beaucoup proposent d’approcher les problématiques de santé en associant des analyses théoriques et conceptuelles, avec des enquêtes de terrain. Ces recherches n’interrogent pas seulement la relation de soin, mais à travers elle, quelques-unes des grandes énigmes de l’humanité?: l’autonomie, la souffrance, l’altérité, la décision.? L’une des questions qui restent des plus saillantes aujourd’hui, en philosophie de la santé, concerne l’autonomie du malade. Les débats sur l’euthanasie, par exemple, sont traversés par cette question. Qu’est-ce que l’autonomie?? Où s’arrête-t-elle?? Est-elle l’indépendance absolue, valorisée par l’idéologie libérale de notre temps, ou est-elle cette capacité inaliénable en l’homme d’agir selon sa raison, capacité qu’aucune circonstance, pas même la maladie, ne peut supprimer?? Les nouveaux progrès thérapeutiques de la médecine réactualisent sans cesse cette interrogation, qui concerne les philosophes, les sociologues, les juristes, et toutes les sciences humaines et sociales.? La relation médicale s’établit parce qu’une personne rencontre un problème de santé (le malade), et qu’une autre possède des compétences pour l’aider (le soignant). Très souvent interviennent aussi les proches du malade, comme certains membres de sa famille et quelques amis. Enfin, une autre réalité joue un rôle fondamental dans cette relation?: la société et ses institutions.? ? Du paternalisme médical à l’autonomie… relative? Le fait que le malade dépende presque entièrement du savoir et des compétences de ceux qui le soignent crée inévitablement un déséquilibre. L’évolution de la législation française a cherché à le compenser. Tel est le but visé par la loi du 4?mars 2002, dite «?loi Kouchner?», selon laquelle «?une personne prend, avec le professionnel de santé (…), les décisions concernant sa santé. (…) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peuvent être pratiqués sans le consentement libre et éclairé de la personne (…).?» Dans cet esprit, la loi du 22?avril 2005, dite «?loi Léonetti?», permet à toute personne de rédiger ses volontés portant sur les conditions de limitation ou d’arrêt de traitement (directives anticipées), pour le cas où elle serait hors d’état de pouvoir s’exprimer et de se faire comprendre des autres. Cette même loi réaffirme aussi le respect de la volonté du malade, même si ce dernier refuse des actes de soins qui peuvent lui apporter un mieux-être. Un soin serait donc légitime parce qu’il est avant tout souhaité par le malade.? Mais la simplicité de ce texte de loi n’est qu’apparente. Au moins pour une raison?: le plus souvent, le malade ne possède pas de compétences médicales. Son consentement dépend de l’information que lui délivre le soignant et des capacités de ce dernier à rendre compréhensible des informations cliniques complexes. Autant dire que si le consentement éclairé est inscrit dans la loi, il n’échappe pas à la question de savoir qui tient la lampe.? À travers cette question de l’autonomie du patient en apparaît donc une autre?: sur quel modèle notre système médical repose-t-il?? Dans les sociétés occidentales, explique la philosophe Michela Marzano?(1), nous sommes passés d’un modèle où le médecin décidait à la place du malade (paternalisme médical) à un modèle autonomiste centré sur la volonté du malade. En effet, nous pensons aujourd’hui qu’il est préférable d’équilibrer la relation médicale en faisant de l’information au malade et de son consentement des obligations pour les soignants.? Une telle distinction a cependant quelque chose de caricatural. En effet, le code 35 de la déontologie médicale énonce que si l’intérêt d’un malade l’exige, il «?peut être tenu dans l’ignorance du diagnostic ou du pronostic.?» Les choses sont donc loin d’être aussi simples qu’on le croit?: non seulement une forme de paternalisme médical peut être moralement défendue mais, de plus, le malade ne posséderait pas toujours une pleine autonomie.? La situation d’une personne âgée atteinte de troubles cognitifs n’autorise pas, par exemple, à ignorer ses décisions et ses actes. Il peut se révéler nécessaire de limiter sa liberté de déplacement afin de la protéger de dangers si elle venait à se perdre (droit d’ingérence dans la vie du malade). Cependant, cela n’annule pas d’autres capacités d’autonomie, comme le fait d’avoir des préférences, ou des souhaits, ni la compréhension de certaines informations, ni le consentement du malade sur certains sujets.? ? Autonomie ou autodétermination??? L’emploi même du mot «?autonomie?» fait difficulté puisque deux modèles semblent là aussi s’opposer. Le premier est inspiré de la philosophie d’Emmanuel Kant?: une volonté est autonome quand elle est soumise au principe d’universalisation, c’est-à-dire quand on peut vouloir que nos actions puissent être érigées en maxime universelle. Dans cette conception, être autonome ne voudrait donc pas dire «?faire ce que l’on veut?», mais plutôt faire quelque chose qui vaudrait pour tous.? Ce modèle s’oppose à celui dans lequel l’autonomie est considérée comme une libre disposition de soi-même, ce que l’on appelle plus couramment l’autodétermination. Comme l’écrit le philosophe Jacques Ricot, «?le seul bien qui vaille est celui qui est conforme à la décision subjective?(2)?», donc non universalisable. Cette conception est d’origine anglo-saxonne (John Locke, John Stuart Mill). Or, à considérer les enjeux de la relation médicale décrits plus haut, aucun de ces deux modèles de l’autonomie ne semble correspondre à la difficile réalité des malades et des soignants.? Pour cette raison, la philosophe Corine Pelluchon insiste sur la compréhension de l’autonomie en termes de degrés. Dans la grande majorité des situations, le malade ne cesse pas d’être autonome parce qu’il est malade. Mais il se trouve dans des conditions telles que son esprit ne réagit plus de la même façon, ni même son corps. La peur, la colère, le déni, entravent ses capacités d’autonomie, sans les supprimer intégralement, ni soudainement. «?Le médecin, écrit-elle, doit, en effet, être capable d’évaluer la capacité du sujet à délibérer et la qualité de ce jugement. Il doit se demander ce que l’on peut appeler autonomie?(3).?» En d’autres termes, l’autonomie se reconfigure au chevet du malade, quand cela est encore permis par son état de santé, au moyen notamment du dialogue.? Cette nouvelle définition de l’autonomie a des répercussions directes pour les soignants comme pour les soignés. Elle permet notamment de souligner un écueil?: réduire le soignant à un prestataire de services et faire peser tout le poids des décisions médicales sur les seules épaules du malade. L’intérêt d’une autonomie pensée en termes de degrés permet d’éviter ce risque en préservant le malade de toute ingérence injustifiée dans sa vie et en rappelant que le soignant n’est pas obligé à tout parce qu’il faut respecter la volonté du malade.? Mais cette articulation entre un paternalisme noble et la reconfiguration de l’autonomie implique un effort de formation de la part des soignants et un effort plus pressant encore de la part des pouvoirs publics. Il revient à ces derniers d’apporter à chaque étudiant en santé les outils indispensables pour développer un modèle humaniste de la relation de soins. Or, la place de ce que l’on pourrait appeler les humanités (la philosophie, les arts, la sociologie, etc.) reste encore trop anecdotique pour permettre aux futurs soignants d’exercer une pensée critique sur leurs propres pratiques et de développer une compréhension empathique des expériences d’autrui. En ce sens, prendre soin et recevoir le soin ne sont pas seulement des questions éthiques, elles sont aussi des questions politiques.
Mots-clés ETHIQUE / HOPITAL / PHILOSOPHIE
Langue Français

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