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Fonds documentaire : Article
Titre Corps, beauté, sexualité
Source Sciences humaines
Auteurs Vigarello Georges
Date de parution 01/01/2009
Commentaire Les représentations du corps ont beaucoup évolué au cours de l’histoire. La manière de le modeler, de le dresser, de l’entretenir, de l’afficher ou d’en jouir est influencée par le contexte social et culturel que les historiens s’attachent à décrypter. Vous montrez dans Le Corps redressé que, depuis le Moyen Âge, éducateurs et pédagogues sont obsédés par le corps droit… Parmi les normes qui concernent le corps, il en est une très importante qui est celle de l’exigence d’une tenue droite. Bien sûr, on retrouve cette exigence aujourd’hui. Mais beaucoup de choses ont changé depuis la Renaissance, non seulement dans la représentation de la rectitude mais surtout dans la manière de l’obtenir. Autrement dit, le corps est au cœur d’une relation pédagogique qui a évolué au cours de l’histoire. Au Moyen Âge, cet objectif existe déjà?: on recommande par exemple aux pages de ne pas s’appuyer sur leur coude lorsqu’ils sont à table?; ou encore, on leur dit?: «?N’enfonce pas la tête dans les épaules sinon tu risques d’apparaître comme un hypocrite. Ne branle pas la tête de droite à gauche car tu passes pour un indécis…?» En fait, les positions du corps sont moralisées. Aux XVIe et XVIIe siècles, la main du maître, ou de l’éducateur, est très importante?: c’est elle qui se place sur le corps de l’enfant pour le corriger. On en trouve des exemples dans les Mémoires de Mme de Maintenon, qui explique comment sa domestique appuyait sa main sur le ventre de sa maîtresse pour le repousser en arrière, lui tirer les épaules, etc. Progressivement, au XVIIe siècle, la main correctrice va trouver un substitut par les maillots et les corsets que l’on fait porter aux enfants et aux femmes. Une profession de fabricants de corsets se crée même à cette époque. Le corset n’est pas seulement porté dans le cas de malformations (ce qui est cependant fréquent), mais aussi de plus en plus de façon préventive par les enfants de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie. On peut le voir sur de multiples gravures?: le corps de l’enfant est maintenu au niveau de la poitrine par un plastron et au niveau du cou par un col rigide. L’éducation du corps consiste en une contrainte imposée. Cette pratique va perdurer tout au long du XVIIIe siècle, bien que se produise alors un changement essentiel en matière de représentations du corps, et pas seulement dans le domaine médical. Quels sont les changements qui apparaissent au XVIIIe siècle?? Des critiques très sévères de ces pratiques corporelles éducatives émergent. Parmi les innombrables voix qui s’expriment sur cette question, Jean-Jacques Rousseau est le représentant le plus éloquent, particulièrement dans l’Émile (1?762). Ces critiques dénoncent d’abord le fait que l’enfant subit, sans aucune réaction possible, ce qui lui est imposé par l’adulte (on voit bien l’idée qui émerge?: «?il faut libérer l’enfant?»). La seconde idée sous-jacente est que l’enfant a suffisamment de force en lui-même pour pouvoir se passer du corset?: apparaît ainsi l’idée du rôle que peuvent jouer les muscles dans la tenue du corps. Car, au XVIIIe siècle, on commence à s’intéresser à une autre composante du corps?: la fibre, constitutive des réseaux nerveux et des muscles, c’est-à-dire de toute une activité tensionnelle. On va alors soumettre l’enfant à des exercices physiques qui le fatiguent, le faire marcher pieds nus, l’obliger à travailler debout – on invente des bureaux à crémaillère… Plus généralement, on commence à concevoir une autonomie possible de l’enfant?: autonomie physique sans doute (résistance au travail, à la fatigue, au froid), mais autonomie plus large aussi. On est à l’époque des Lumières, de la naissance d’une forme d’individualisme, mais aussi du respect de l’individu?: tant des adultes que des enfants qui sont des adultes en devenir. C’est l’amorce d’un renversement dans la relation pédagogique qui va advenir au XIXe siècle. En quoi le XIXe siècle révolutionne-t-il la pédagogie du corps?? Le XIXe siècle constitue une rupture absolue dont on ne mesure pas toujours l’importance. Dans les conceptions médicales et hygiénistes de l’époque, le muscle et le poumon font l’objet de toutes les attentions. Plus concrètement, le XIXe siècle invente la gymnastique. Le principe totalement nouveau est celui d’exercices mécaniques censés améliorer les forces et l’efficacité du corps. Des manuels présentent des séries d’exercices numérotés. L’ambition est de transformer les corps pour perfectionner les muscles et les gestes. On le met au travail dans des types de pratiques mécanisées et chiffrées. Le XIXe siècle, surtout sa seconde moitié, nous fait entrer dans un espace métré. Dans la fabrique ou l’atelier, toute une économie des gestes commence à être pensée, de façon à ce que le travail de l’ouvrier soit réellement rentable. Michel Foucault a bien montré cela, en prenant l’exemple de la rentabilité des gestes dans l’armée. On est dans une recherche d’efficacité du corps… C’est dans ce cadre que naît la gymnastique scolaire?: tous les enfants effectuent dans le même temps et le même rythme un certain type de mouvements. On invente les salles de gymnastique et des machines (manivelles, poulies, treuils, échelles) pour obliger le corps à travailler. Ce sont les ancêtres de nos salles de musculation… La conception du mobilier scolaire correspond aussi à ce type d’inquiétude vis-à-vis du corps. Des chiffres très précis indiquent la distance entre la poitrine et le bord de la table, l’écart entre la hauteur du siège et le pupitre… En France, à la fin du XIXe siècle, il semble qu’il y ait conflit entre les tenants de la gymnastique et ceux du sport?? Le temps semble produire des libérations en cascade. Le corps de l’enfant chez Rousseau est libéré par rapport à celui que l’on enfermait dans des maillots et des corsets. Le corps de la gymnastique donne plus d’autonomie et de disponibilité à l’enfant tout en le maintenant dans des formes de rigidité par des exercices précis et contraints. Mais les années 1880 voient surgir des critiques extrêmement sévères et acerbes à l’égard de la gymnastique, considérée comme trop autoritaire, ou susceptible d’entretenir une culture trop militaire… Le sport (la course, le vélo, le canotage, le match de ballon…) dont la pratique vient d’Angleterre, apparaît à ce moment-là et est perçu par ceux qui le pratiquent comme une véritable libération. Il n’a pas, dans ces premiers temps, de visée nécessairement hygiéniste ou morale comme c’est le cas pour la gymnastique. En quoi la naissance de la psychologie va-t-elle opérer une nouvelle rupture dans le rapport au corps?? Les premiers psychologues commencent à parler de sensations internes… Dans les années 1920, Jean Piaget parle d’intelligence sensorimotrice et met en évidence le phénomène d’intériorisation de la motricité. Mais ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle que la psychologie va influencer les pratiques, et plus précisément dans les années 1960. Le corps n’est plus conçu comme une simple mécanique mais comme porteur de messages, d’informations, de sensations éprouvées… On demande alors au sujet d’être attentif à ce qu’il perçoit?: on n’est plus dans l’«?effection?» mais davantage dans l’affection. La perspective est renversée, on amène le sujet à s’écouter. Autre changement fondamental?: ce n’est plus une norme abstraite, collective et générique imposée de l’extérieur qui prime, mais la norme que chacun se fixe. On prend alors conscience qu’il existe plusieurs façons d’être droit, de se tenir, et que certaines rectitudes correspondant à des normes individuelles peuvent être aussi élégantes que d’autres… On est face à un nouveau type de libération. Le pédagogue n’est plus alors celui qui prescrit de manière autoritaire et intangible, mais celui qui aide à la perception de chacun. Prenons un exemple symptomatique?: un sportif aujourd’hui peut dire qu’il «?a perdu ses sensations?»?; c’était inenvisageable dans les années 1930, où il devait simplement faire ce qu’on lui demandait?! Le corps est devenu le support de notre identité. D’où des expressions de plus en plus individualisées (le piercing ou le tatouage, par exemple), ou encore ces recherches de «?retrouvailles?» avec son corps (dont la thalasso est un exemple), comme si ces retrouvailles allaient nous permettre d’être vraiment ce que nous sommes… Certaines pratiques comme les raids, les sports extrêmes, ou toute autre pratique à risque, ou encore les raves avec leurs consommations et leurs transes multiples, constituent une manière d’explorer le corps au-delà de ses limites?: l’illimité du corps prend le relais des anciennes transcendances.
Mots-clés REPRESENTATION SOCIALE / CORPS / SCHEMA CORPOREL
Langue Français

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