Bonjour,

Recherche rapide

Menu recherche

Bienvenue sur Alexandrie !
Fonds documentaire : Article
Titre Euthanasie : la loi Leonetti suffit-elle vraiment ?
Source Sciences humaines
Auteurs CANNONE J
Date de parution 01/10/2011
Commentaire Le cas du Dr Nicolas Bonnemaison, cet urgentiste bayonnais soupçonné d’avoir provoqué la mort de plusieurs patients en fin de vie, ravive le débat sur l’euthanasie en France. Le Conseil national de l’ordre des médecins estime que les dispositions de la loi Leonetti sur la fin de vie et le code de déontologie médicale n'ont pas été respectés. De son côté, la justice a mis en examen l’urgentiste. Quelle est la législation actuelle dans notre pays ? Lève-t-elle toute ambiguïté éthique ? Quels sont les enjeux de la question de la fin de vie pour les citoyens ? « On n’est pas là pour faire ça, on est rentrés pour soigner, pas pour tuer. » Cette phrase d’une aide-soignante recueillie par la sociologue Véronique Guienne (1) résume le non-dit qui entoure l’euthanasie. À travers une enquête auprès de médecins et soignants exerçant dans des unités de soins palliatifs ou en réanimation, la chercheuse a pu le remarquer combien le terme demeurait tabou : « Lorsqu’on parle de l’euthanasie, c’est généralement pour dire qu’on ne la pratique pas. » Or, selon elle, « il est clair que les équipes soignantes des hôpitaux provoquent régulièrement et sciemment la mort. » Quelles réalités recouvre alors ce terme ? Quatre formes d’euthanasie On distingue couramment quatre formes différentes d’euthanasie : • La première forme d’euthanasie, dite euthanasie active, consiste en l’administration délibérée de substances létales. Elle évoque une mort brutale, le plus souvent par l’injection de chlorure de potassium, entraînant l’arrêt cardiaque. Parfois présente dans les discours de médecins « comme la définition pratique de ce que serait l’euthanasie, permettant de facto de la réfuter », explique V. Guienne, cette technique illégale a été utilisée dans certains hôpitaux il y a une vingtaine d’années, avant les progrès de la sédation. • La deuxième forme d’euthanasie, très différente, est la sédation, qui désigne l’administration d’antalgiques. Pratiquée dans les services accueillant des malades en fin de vie, il s’agit là d’une euthanasie indirecte… bien que le nom même d’euthanasie lui soit dénié par une partie des soignants, au motif que le but premier de la sédation n’est pas de provoquer la mort, mais de soulager au mieux la douleur du patient dont le décès est imminent. On parle ainsi pudiquement du « double effet » de la sédation, terme consacré de la mort consécutive à une dose massive d’antidouleur. • La troisième forme d’euthanasie, dite euthanasie passive, est l’arrêt des soins thérapeutiques, reconnu en France au nom du refus de « l’obstination déraisonnable » lorsque la situation est jugée irréversible. • La quatrième forme d’euthanasie est l’aide au suicide : le patient accomplit lui-même l’acte mortel guidé par un tiers lui ayant fourni les renseignements et moyens nécessaires pour se donner la mort. Le suicide assisté fut très discuté politiquement et médiatiquement dans le cas de Chantal Sébire. Atteinte d’une tumeur incurable, cette quinquagénaire s’était vu refuser par la justice française le droit de se faire prescrire par son médecin un produit létal. Elle s’est suicidée en mars 2008 en absorbant une forte dose de barbituriques. Soigner… mais à quel prix ? Entre faire mourir et laisser mourir, la décision de fin de vie et l’euthanasie ne sont pas, comme on pourrait le penser, une affaire de « face à face » entre patient et médecin. En France, où 70?% des décès ont lieu à l’hôpital, infirmières et aides-soignantes sont tout aussi impliquées dans le processus de fin de vie. Autant de doutes, de divergences, de marges d’appréciation possibles. Avec les nuances qui s’imposent entre médecins selon leur âge, leur formation et leur parcours, les travaux sur le sujet (2) tendent à montrer chez eux une volonté marquée de sauver coûte que coûte, « soigner à tout prix ». Oui, mais à quel prix justement ? Des infirmières et aides-soignantes présentes auprès du patient pour les gestes du quotidien évoquent dans certains cas un « acharnement thérapeutique » de la part des médecins. Ceux-ci, formés pour « faire vivre », se refusent parfois jusqu’au bout à « donner la mort ». La loi Leonetti de 2005 Dans un tel contexte, quel rôle joue le législateur français ? La loi Leonetti du 22 avril 2005 (3) reconnaît la limitation ou l’arrêt des soins lorsque la situation est jugée irréversible. Les médecins agissent selon un principe de collégialité, défini par le code de déontologie médicale, pour décider de la limitation ou de l’arrêt d’un traitement. Avant l’adoption de la loi, en cas de plainte, les médecins étaient accusés d’homicide. La loi Leonetti admet en outre le concept de « décision de fin de vie » et les directives anticipées : les souhaits d’un individu en matière de limitation ou d’arrêt de traitement peuvent être pris en compte s’ils ont été rédigés moins de trois ans avant que survienne l’état d’inconscience. Mais il y a loin de la loi aux pratiques. D’abord en raison de l’absence de directives anticipées dans de nombreux cas. Par ailleurs, pour des patients inconscients, tout consentement est évidemment impossible. Quant au consentement de la famille, il est problématique dans certains cas. Dans certains services de réanimation, constate la sociologue Nancy Kentish-Barnes (4), les médecins laissent volontairement les proches en dehors de la décision de fin de vie, justifiant cela par l’absence de compétences médicales des familles et leur émotion, susceptible en pareil cas d’altérer leur faculté de jugement. Alors, quelle part peut prendre la famille dans la décision de fin de vie ? La législation actuelle ne lève pas toute interrogation éthique. Une législation insuffisante ? La loi française satisfait-elle au principe du droit à disposer de sa mort ? La question reste ouverte. Si certains, à l’instar du philosophe Jacques Ricot (5), estiment que la loi Leonetti est équilibrée, d’autres dénoncent des insuffisances. Le cas du Dr Nicolas Bonnemaison, urgentiste bayonnais mis en examen en août dernier pour « empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables » (6), a récemment relancé le débat relatif à la législation française sur la fin de vie. Les membres de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) (7) avancent que seul un droit au « laisser mourir sans faire mourir » a été instauré par la loi Leonetti. Le président de l’ADMD, Jean-Luc Romero, estime que la loi de 2005 « faite par des médecins, pour des médecins » confisque le débat sur l’euthanasie, qui est pourtant d’abord « une affaire de citoyenneté et d’éthique » (8). Le débat ne se pose finalement pas en termes binaires – pour ou contre l’euthanasie ? Il invite surtout à une réflexion collective sur la fin de vie que nous souhaiterions pour nous ou nos proches, en cas de maladie incurable ou de long coma végétatif. NOTES (1) V. Guienne, Sauver, laisser mourir, faire mourir, Presses universitaires de Rennes, 2010. (2) A. Paillet, Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale, La Dispute, 2007. (3) Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005 dite loi Leonetti. (4) N. Kentish-Barnes, Mourir à l’hôpital, Seuil, 2008. (5) J. Ricot, Éthique du soin ultime, Presses de l’EHESP, 2010. (6) Voir Raphaëlle Bacqué, « Les mystères du docteur Bonnemaison, médecin confirmé, homme fragile », Le Monde, 14 août 2011. D’après cet article, le Dr Nicolas Bonnemaison a reconnu avoir utilisé du Norcuron, un médicament à base de curare provoquant une paralysie respiratoire quasi immédiate, associé à l'Hypnovel, un hypnotique et sédatif d'action très rapide. Selon son avocat Me Arnaud Dupin, il voulait « abréger les souffrances de patients en fin de vie ». (7) Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). (8) Voir l'entretien de J.-L. Romero, Le Monde, 8 septembre 2011.
Mots-clés EUTHANASIE / LEGISLATION
230
Langue Français

Connexion

Identifiant
Mot de passe
A la semaine prochaine !