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Fonds documentaire : Article
Titre Françoise Dolto, le sacre de l'enfant
Source Sciences humaines
Auteurs Ohayon Annick
Date de parution 01/12/2008
Commentaire Françoise Dolto est connue pour avoir défendu «?la cause des enfants?» auprès du grand public après 1968. En réalité, son histoire fut liée à la diffusion de la psychanalyse en France dès les années 1930. Cela fait maintenant un peu plus de vingt ans que Françoise Dolto (1908-1988) est partie «?jouer au Scrabble avec Lacan?», comme elle l’avait dit en matière de boutade. Au moment de sa disparition, un concert unanime et ému, de François Mitterrand à Georges Marchais, salue la grande dame de la psychanalyse française, l’humaniste, qui savait partager avec tous, surtout avec les parents et les éducateurs, son écoute passionnée du langage de l’enfant. Dix ans plus tard, en 1998, les célébrations dans la grande presse et dans les revues spécialisées sont tout aussi élogieuses, et il semble désormais acquis que F. Dolto a révolutionné la façon de penser l’enfant, et par conséquent l’éducation. Aujourd’hui, des voix discordantes se font entendre. Elles émanent d’un courant de critiques violentes de la psychanalyse en général, de son hégémonie dans le champ de la psychothérapie et de la pédagogie. La méthode Dolto n’échappe pas à ces jugements?: «?Et si Dolto s’était trompée???», s’interroge Elle dans un récent numéro. La génération Dolto (entretien p. 54), ces enfants devenus adultes, interroge ses éducateurs, qui ont appliqué aveuglément la bonne parole. Au-delà de ces querelles, le temps est peut-être venu d’historiciser le personnage, l’œuvre et l’héritage de F. Dolto. L’illusion biographique Bien que la matière ne manque pas, l’entreprise s’avère délicate. Ses amis, ses collaborateurs, ses enfants et surtout elle-même ont contribué à construire l’image quasi héroïque d’une femme libre, qui s’est arrachée à son destin bourgeois pour devenir une clinicienne géniale au service de la cause des enfants. À la fin de sa vie, F. Dolto a multiplié les écrits (1) qui participent largement de ce que Pierre Bourdieu a nommé «?l’illusion biographique (2)?». Il entendait par là dénoncer l’idée qu’une vie est un ensemble cohérent et orienté, dont l’autobiographie pourrait rendre raison en dégageant une logique à la fois rétrospective et prospective (qui se traduit par des expressions comme «?dès mon plus jeune âge…?», «?dès lors, je devins…?», «?je me consacrai à…?», etc.). Et, à ce petit jeu, il faut bien reconnaître que F. Dolto a été championne. N’ayant sans doute pas lu P. Bourdieu, et en tant que psychanalyste, elle revendiquait d’ailleurs hautement le récit de vie comme un devoir, et déplorait que Jacques Lacan s’y soit soustrait. Celui qu’elle nous propose est donc une narration subjective, qui révèle et occulte tout à la fois, avec ses points aveugles et ses fulgurances. Nous découvrons une petite fille très intelligente, qui observe la névrose familiale, qui comprend pourquoi les enfants sont malades, ont mal au ventre, vomissent, et se désole que les grandes personnes n’y voient goutte. À 7 ans, elle met en mots cette intuition et déclare à sa famille ébahie?: «?Quand je serai grande, j’aurai un métier, je serai médecin d’éducation.?» Lorsque sa sœur aînée meurt d’un cancer (en 1920, Françoise a 12 ans), elle ne tient pas rancune à sa mère, qui lui reproche de n’avoir pas assez prié pour qu’un miracle s’accomplisse et regrette qu’elle ne soit pas morte à la place de cette enfant tendrement chérie. Françoise comprend sa détresse et la soutient, devenant alors, selon ses propres termes, psychanalyste, pour sauver sa mère. Elle nous narre enfin son long combat pour échapper au projet parental?: devenir une épouse et une mère qui sait tenir son rang et sa maison. De ses études, elle parle fort peu. Il y a d’abord Mademoiselle, sa préceptrice, puis des séjours pas très assidus dans un cours privé. En fait, elle se considère plutôt comme une autodidacte, ce qui explique peut-être l’image dévalorisée qu’elle diffusera de l’école. Elle devient bachelière à 16 ans, malgré les efforts déployés par sa mère pour l’en empêcher, une bachelière ne pouvant que mal tourner?! En revanche, elle s’étend longuement sur l’une de ses passions?: la TSF. Celle qui va devenir célèbre grâce à la radio a fabriqué, à l’âge de 10 ans, un poste à galène et appris le morse, ce qui lui permet d’épater ses frères et toute sa famille, lorsqu’elle leur annonce des nouvelles qu’ils ne connaissent pas encore. Enfin, ce n’est qu’à 24 ans, en 1932, qu’elle peut réaliser son rêve?: commencer ses études de médecine, en même temps que son frère Philippe, de cinq ans plus jeune qu’elle, qui s’est engagé à la chaperonner. Leurs chemins sont dès lors tout à fait parallèles. Ils vont croiser celui de l’histoire de la psychanalyse française, et, pour Françoise, s’y confondre. Le temps de la formation Trois personnages vont marquer la formation intellectuelle et professionnelle de Françoise Marette (3)?: René Laforgue, Édouard Pichon et Sophie Morgenstern. Au cours de ses études de médecine, Françoise se lie d’amitié avec Marc Schlumberger. Ce dernier, déjà analysé à Vienne par Herman Nunberg, l’ouvre à un univers inconnu?: il lui parle de l’expérience pédagogique d’Alexander Neill à Summerhill (4), lui fait lire Sigmund Freud et connaître R. Laforgue. Ce dernier est le fondateur du mouvement psychanalytique français, le premier médecin psychiatre psychanalysé. Lorsque Françoise commence son analyse avec lui, en 1934, cet Alsacien est un praticien à la mode, qui traîne une réputation de clinicien génial mais aussi d’arriviste, très intéressé par l’argent. Avec elle, cependant, il va se montrer généreux, baissant ses tarifs lorsqu’elle ne peut plus assurer, et lui obtenant une bourse de la princesse Marie Bonaparte, qui vient alors de fonder l’Institut de psychanalyse. Les mentors Nous sommes aux temps héroïques de l’introduction de la psychanalyse en France, et si les pratiques de R. Laforgue ne semblent pas très orthodoxes, elles ne le sont pas moins que celles de la plupart de ses confrères. La cure dure trois ans, ce qui est très long pour l’époque. F. Dolto, si prolixe sur certains éléments de sa vie, en parle assez peu, sinon pour dire qu’elle n’y comprenait rien, que cependant R. Laforgue l’a beaucoup aidée, et qu’il lui aurait confié au terme de cette cure qu’il n’avait jamais si bien travaillé qu’avec elle. Elle en gardera néanmoins un sentiment d’inachevé, qui la conduira à faire plusieurs contrôles avec de très grands noms de la psychanalyse?: Hans Hartmann, Angel Garma, René Spitz, Rudolf Loewenstein et S. Morgenstern pour le travail auprès des enfants. F. Dolto commence à se former auprès de cette dernière lors de son stage d’externat dans la clinique de neuropsychiatrie infantile de Georges Heuyer. Dans cette institution, au climat lourdement constitutionnaliste, S. Morgenstern tente, grâce à la psychanalyse, d’aborder l’enfant ou l’adolescent perturbé autrement, de l’écouter, de le comprendre et d’essayer de le guérir. Elle met au point une technique d’interprétation du dessin auprès d’un enfant mutique, qu’elle transmet à la jeune externe. Ce n’est que très tardivement que F. Dolto reconnaîtra ce qu’elle lui doit. Au Congrès mondial de psychiatrie de 1950, lorsque sont présentés les résultats d’une grande enquête rétrospective visant à savoir ce que sont devenus les enfants qui fréquentaient la consultation de G. Heuyer dans les années 1930, elle ne se montre pas très tendre à l’égard de la technique conduite par S. Morgenstern et de ses résultats, pas plus probants que ceux des traitements neuroendocriniens. Elle critique, avec Serge Lebovici, la «?bonne grand-mère?» et son maniement, insuffisamment strict, du transfert. S. Morgenstern, juive et polonaise, s’est suicidée en 1939, lors de l’entrée des Allemands dans Paris. Enfin, le troisième mentor de F. Dolto est un personnage haut en couleurs?! É. Pichon, pédiatre, psychanalyste et grammairien est, comme R. Laforgue, l’un des pionniers du groupe français. Maurassien, catholique traditionaliste, partisan de la peine de mort, il n’a pas absolument le profil qu’on imagine d’un adepte de la doctrine freudienne, subversive et athée (5). Il critique les féministes, qu’il nomme par dérision des «?homministes?», et conseille de couper ras les cheveux des petits garçons pour qu’on ne les confonde pas avec les filles. C’est cependant auprès de lui, dans son service de l’hôpital Bretonneau, qu’elle va apprendre qu’il faut parler aux bébés, et recueillir les matériaux de sa thèse de médecine?: Psychanalyse et pédiatrie, qu’elle soutient en 1939. Selon elle, la plupart de ses collègues médecins auraient ri de ce travail, qu’elle doit publier à compte d’auteur. En tout cas, la voilà médecin, spécialiste des pipis au lit et des bébés vomisseurs, certes, mais médecin. Elle ouvre son cabinet le 1er septembre, juste avant la déclaration de guerre. La voilà aussi membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris. Une autre vie commence. La «?doltoïsation?» de la société Après le décès d’É. Pichon, F. Dolto reprend la consultation de l’hôpital Trousseau, qu’elle va tenir jusqu’en 1978. Elle y forme des médecins, de jeunes psychologues et psychanalystes, qui observent, fascinés, sa technique singulière. Elle travaille aussi dans le premier centre psychopédagogique, au lycée Claude-Bernard. Un nouveau paradigme est en train d’apparaître, qu’elle va largement contribuer à diffuser avec sa collègue Maud Mannoni?: si l’enfant ne réussit pas à l’école, ce n’est pas parce qu’il est idiot, c’est parce qu’il souffre. L’aider à découvrir la cause de cette souffrance peut contribuer à lever l’inhibition scolaire. Dans cette logique, elle soutient activement le mouvement de l’école nouvelle et de la pédagogie institutionnelle. De 1939 à 1971, elle écrit beaucoup d’articles, de conférences, mais assez peu dans des revues spécialisées. Suivant la voie tracée par R. Laforgue, elle cherche à élargir le champ de pénétration de la psychanalyse dans la presse féminine (Elle), catholique (Les Études carmélitaines du père Bruno de Marie-Jésus) ou psychopédagogique (L’École des parents, L’Enfant et nous). Cette période voit aussi les déchirements du groupe psychanalytique français, qui aboutissent aux deux scissions de 1953 et de 1963. F. Dolto est toujours dans le clan des libéraux, fondant d’abord, en 1953, la Société française de psychanalyse avec Daniel Lagache et Juliette Favez-Boutonier, bientôt rejoints par J. Lacan, puis suivant celui-ci en 1963, après ce qu’il nomme «?l’excommunication?», dans la création de l’École freudienne de Paris. Mais c’est à partir de 1971 que sa notoriété commence, avec la parution simultanée de sa thèse et du Cas Dominique, un adolescent psychotique dont F. Dolto interprète les propos mais aussi les dessins et les modelages. Elle va exploser littéralement grâce à ses émissions sur France Inter, qui donneront lieu aux trois volumes de Lorsque l’enfant paraît. L’importance primordiale accordée au langage, y compris celui du corps, et l’accent mis non plus sur l’obéissance mais sur l’épanouissement de l’enfant, sont en résonance parfaite avec l’antiautoritarisme ambiant depuis 1968?: on parlera de «?doltoïsation?» de la société pour désigner cette lame de fond. En 1979, elle crée la première Maison verte, destinée aux enfants de moins de 3 ans, pour favoriser leur adaptation à la vie sociale et pour aider les parents à apprendre leur métier de parents. Sa trajectoire, jusqu’à sa mort en 1988, appartient autant à l’histoire culturelle et sociale du xxe siècle qu’à celle de la psychanalyse.
Mots-clés ENFANT / PSYCHOLOGIE / PSYCHANALYSE
Langue Français

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