Bonjour,

Recherche rapide

Menu recherche

Bienvenue sur Alexandrie !
Fonds documentaire : Article
Titre Donald C. Winnicott : psychanalyste de l'enfant
Source Sciences humaines
Auteurs CHICHE S
Date de parution 01/11/2011
Commentaire Quarante ans après sa mort, les conceptions de Donald W. Winnicott en font un précurseur sur des questions très contemporaines?: ?délinquance et conduites antisociales, perte d’identité, échec scolaire… Nous sommes au Royaume-Uni, à la fin des années 1930. Alors que se développe depuis quelques années la psychanalyse de l’enfant, deux sommités cliniques se livrent une âpre guerre idéologique au sein de la British Psycho*analytical Society, entraînant progressivement dans leur sillage tout l’establishment psychanalytique européen. D’un côté, les partisans d’Anna Freud estiment que le traitement psychanalytique d’enfants a des objectifs psychopédagogiques et éducatifs. De l’autre, les disciples de Melanie Klein soulignent que le cadre de la cure doit être strictement psychanalytique et que le jeu et les fantasmes y ont une part fondamentale. Ces grandes controverses aboutiront à la formation de trois groupes?: celui d’A. Freud, celui de M. Klein, et celui du middle group, qui ne souhaite pas prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Loin de ces querelles de clocher, un homme s’impose en quelques années, avec des idées a priori simples et concrètes mais en réalité d’une subtilité redoutable, comme l’un des psychanalystes les plus inventifs de sa génération. ?Donald Woods Winnicott n’était pas à proprement parler un grand théoricien. Mais plutôt, selon le mot du psychanalyste André Green, «?une sorte de penseur spontané?». Suivant en cela la grande tradition de l’empirisme britannique, pour Winnicott, «?la pensée était profondément liée à l’expérience?»?(1). Surtout, c’était un esprit libre dont l’inébranlable indépendance le fit se situer à l’écart de tout dogme.? Un esprit libre? Athlète remarquable, une fracture de la clavicule lors d’une partie de rugby à l’âge de 16?ans est très curieusement à l’origine de sa vocation de médecin. «?Je ne pouvais pas imaginer que, pendant tout le reste de ma vie, je serais obligé de dépendre des médecins, au cas où je me blesserais ou tomberais malade, racontera-t-il. Le meilleur moyen de m’en tirer, c’était de devenir médecin moi-même.?»? Alors qu’il est encore à l’école de Cambridge, il se prend de passion pour L’Origine des espèces de Charles Darwin et dévore ensuite la totalité de son œuvre. Nouveau choc en 1919, lorsqu’il découvre L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud. Ses études de médecine achevées, les limites d’une approche médicale purement physiologique le gênent. Dès 1923, il commence sa formation d’analyste, en même temps qu’il tient des consultations en pédiatrie dans deux hôpitaux différents. Là, il écoute, parle avec les enfants, rencontre leurs parents, soigne, enseigne et développe des théories révolutionnaires pour l’époque?: l’enfant doit jouer pour apprendre, créer pour se développer.? L’environnement, pilier du?développement de l’enfant? Tout en choisissant M. Klein comme superviseur, Winnicott se sépare radicalement de ses idées dès son travail sur La Défense maniaque, en 1935. Elle postule l’existence de fantasmes et d’un moi définissables chez le nourrisson, dès la naissance. Très marqué par ses observations d’enfants devenus délinquants à la suite de séparations traumatiques pendant la Seconde Guerre mondiale, Winnicott pense quant à lui que ce ne sont pas les fantasmes mais l’environnement qui a une importance de tout premier plan dans le développement psychique de l’enfant. Ainsi lorsqu’il déclare qu’«?un bébé ça n’existe pas?», il faut y comprendre qu’un bébé n’existe jamais seul car il y a toujours une mère ou une personne de l’entourage pour le materner. Au début de la vie, explique Winnicott, le nourrisson est dans une dépendance absolue à son environnement. Le bébé a un «?potentiel inné?». Mais ce potentiel ne peut s’actualiser que grâce à la «?préoccupation maternelle primaire?», une disposition psychique particulière qui se met en place durant les dernières semaines de la grossesse et qui permet à la mère, en s’identifiant à son bébé, de lui apporter «?à peu près au bon moment?» ce qui lui est nécessaire.? De la guerre à sa mort en 1971, Winnicott connaît trente années de créativité foisonnante où son audience dépasse largement le champ de la psychanalyse?: ses chroniques à la BBC le rendent très populaire. Il n’aime rien tant que parler à des non-spécialistes?: mères de famille, travailleurs sociaux, enseignants, infirmiers…? Portées aux nues dans les années 1970, puis soudain décriées, les théorisations de Winnicott sont à nouveau très à la mode et semblent, une fois n’est pas coutume, faire l’unanimité parmi les psychanalystes des différentes écoles qui existent aujourd’hui. Mais si pédiatres, éducateurs, enseignants et même assistantes maternelles le citent à tout bout de champ, certains de ses concepts font encore, en France, l’objet d’un profond malentendu, notamment ses théories sur la «?mère suffisamment bonne?».? Le doudou à la base du développement de la pensée? C’est avec le concept d’objet transitionnel, théorisé en 1953 et que l’on associe aujourd’hui au fameux doudou, que Winnicott est devenu mondialement célèbre. Vers l’âge de 6-8 mois (mais ce peut être plus tard), le bébé va élire un «?objet?» particulier –?coin de couverture, peluche…?– qui va l’aider à franchir une étape cruciale?: passer de l’état de fusion avec sa mère à celui «?où il est en relation avec elle, en tant que quelque chose d’extérieur et de séparé?(2)?». Cet objet, que l’enfant câline ou mutile, survivra à ces déchaînements d’amour et de haine* et devra toujours rester le même. «?La mère acceptera qu’il devienne sale et sente mauvais?; elle n’y touchera pas car elle sait très bien qu’en le lavant, elle introduirait une discontinuité dans l’expérience du petit enfant?», prévient Winnicott.? Mais ce n’est pas tout?: ces «?objets transitionnels?» sont au fondement du développement de la pensée. Car c’est précisément la façon première d’aller à la rencontre du monde qui peut permettre à l’enfant d’élaborer ensuite un monde interne. C’est-à-dire notamment d’expérimenter la désillusion due aux inévitables carences d’adaptation de l’environnement, de construire son «?sentiment continu d’exister?» (going on being) et d’accéder à la «?capacité d’être seul?». De ces conceptions, très audacieuses à l’époque, découle l’importance primordiale que Winnicott accorde à l’acte de «?jouer?» (playing). Il y voit l’activité la plus essentielle de l’être humain, qui trouve sa place dans «?l’aire intermédiaire?» ou «?espace potentiel?», zone-tampon entre la réalité (le monde extérieur) et le fantasme (le monde intérieur).? Porter son enfant physiquement et psychiquement? Dès sa naissance, l’enfant est porté physiquement et psychiquement (holding*) par un environnement qui pour lui va de soi puisqu’il ne fait qu’un avec lui. Si la mère apporte à son bébé à peu près ce qui lui est nécessaire et au bon moment, le bébé aura donc l’impression qu’il vient de créer l’objet qu’il vient de trouver. Mais si l’environnement est défaillant, par excès (la mère impose le sein au bébé avant qu’il n’en exprime le besoin) ou par défaut (la mère ne fournit pas une réponse adaptée au bébé), il se produira ce que Winnicott appelle un «?empiètement?» (impigement) sur l’espace psychique du bébé. Si ces empiètements se répètent, le bébé se trouve exposé à des angoisses très fortes, que Winnicott appelle «?agonies primitives*?» ou «?angoisses impensables?». Pour survivre, il se construira un «?faux-self?», c’est-à-dire une fausse personnalité, docile, qui s’aligne sur les désirs de la mère. Ce qui pourra avoir des répercussions tout au long de sa vie?: cela donnera par exemple des personnes qui réagissent à leur environnement social, professionnel, amoureux, de façon pseudo-adaptée mais sont incapables de toute spontanéité.? Pour Winnicott, on peut donc diviser les gens en deux catégories?: ceux qui ont été bien accompagnés dès la naissance et peuvent donc développer un authentique goût de vivre. Et ceux qui ont eu le sentiment, dans les premiers moments de leur existence, pour une raison ou pour une autre, qu’on les a «?laissé tomber?» et seront donc candidats à «?une vie d’orage et de tensions, et peut-être à la maladie?»?(3). Toutes ces personnes garderont leur vie durant la trace de cet état dans lequel ils se trouvaient au moment du désastre.? Sa pratique amène justement Winnicott à rencontrer chez certains patients adultes des angoisses et des formes de transfert qui pourraient, a priori, rendre tout travail analytique impossible –?l’analyse étant alors pour beaucoup de freudiens réservée aux patients névrosés. Winnicott va adapter le cadre de la cure et réinventer la clinique pour tous ces patients qui ont été insuffisamment portés ou insuffisamment touchés par leur mère. Il n’hésite donc pas à «?porter?» certains patients jusqu’à la régression, ce qui instaure une véritable dépendance vis-à-vis de l’analyste. Mais pourquoi prendre un tel risque?? Pour Winnicott, cette dépendance temporaire est nécessaire pour que le patient revive une autre dépendance passée, celle qui le liait à un environnement défaillant.? Comment cela fonctionne-t-il?? Dans cette situation de régression, le divan devient l’analyste qui assure le holding et l’analyste, la mère. Les passages à l’acte du patient –?par exemple des crises de colère et d’ingratitude vis-à-vis de l’analyste?– sont la trace d’un désespoir ancien face à un environnement carencé. Dans la cure winnicottienne, l’analyste est utilisé pour ses carences plus que pour le savoir qu’on lui prête et il doit reconnaître les mouvements de haine* qui émergent en lui vis-à-vis du patient. En sollicitant «?la capacité qu’a le patient d’utiliser l’analyste?» (4), Winnicott apprend donc à ses patients à passer d’une relation à l’objet à une utilisation de l’objet, c’est-à-dire d’une relation de dépendance à l’expérience de l’altérité.? Un étonnant précurseur? En France, des psychanalystes comme A.?Green, Jean-Baptiste Pontalis, René Roussillon et Jacques André (entretien ci-dessous) ont contribué à donner une nouvelle vitalité à la pensée de Winnicott. Sa conception presque darwinienne de l’environnement trouve aussi des prolongements étonnants dans les travaux de biologistes tels que Georges Edelman?(5) sur la construction de l’immunité comme sélection des expériences fructueuses et ses intuitions géniales sur les «?gestes spontanées?» du nourrisson dès la naissance se confirment dans bien des travaux contemporains de psychologie expérimentale sur les compétences innées du bébé. Un bon nombre de ses idées sont devenues très populaires dans le grand public, pour le meilleur et, parfois, pour le pire. Désormais, pas une mère ou une assistante maternelle qui ne connaisse l’importance pour l’enfant de l’incontournable doudou, ou qui ne sache que les premières interactions entre un bébé et son environnement pourront avoir des conséquences décisives sur son développement.? NOTES (1) André Green, Jouer avec Winnicott, Puf, 2005. ?(2) Donald W.?Winnicott, Les Objets transitionnels, Payot, 2010. ?(3) Donald W.?Winnicott, «?Le Concept d'individu sain?» (1967), Conversations ordinaires, Gallimard, 1988. ?(4) Donald W.?Winnicott, Jeu et Réalité. L'espace potentiel, 1971, trad. fr. Gallimard, 1975 rééd. coll. «?Folio?», 2002. ?(5) Georges Edelman, Biologie de la conscience, Odile Jacob, 1992. • Donald W.?Winnicott. Une nouvelle approche ?Laura Dethiville, Éd. Campagne Première, 2008. ?• Jouer avec Winnicott ?André Green, Puf, 2005. ?• Donald Woods Winnicott ?Denys Ribas, Puf, 2000. Mots-clés Haine ?Donald W.?Winnicott met en parallèle?la haine éprouvée par la mère contre son?bébé et celle de l’analyste contre un patient psychotique, en état de besoin.?La capacité de haïr, tout aussi importante?que la capacité d’aimer, signifie que l’ambivalence a été intégrée.? Holding? L’ensemble des moyens qui donnent?un support au moi naissant de l’enfant, comprenant la routine des soins quotidiens qui lui sont apportés. ??Agonies primitives ?Lorsque les défaillances de l’environnement sont excessives en intensité et en durée,?le nourrisson est en proie à des angoisses d’annihilation ou de désintégration.?Ces angoisses, difficilement pensables,?sont similaires à celles éprouvées par bien des psychotiques adultes. La tendance antisociale : un appel au secours Pendant la Seconde Guerre mondiale, Donald W.?Winnicott participe au grand plan d’évacuation des enfants de Londres, durant les bombardements.? Avec John?Bowlby et Emmanuel Miller, ?il met en garde les pouvoirs publics contre les dangers encourus par des enfants? trop longtemps séparés de leur famille.? Il élabore sa théorie de la tendance antisociale?: pour Winnicott,?la délinquance est liée à une «?déprivation?», une perte brutale des soins que l’on ?a tout d’abord reçus et qui ont été ensuite retirés. La tendance antisociale exprime donc un espoir, celui d’une demande adressée à l’environnement.? Pour Winnicott, le petit voleur ne désire pas seulement l’objet volé, il réclame à son père et à sa mère (ou à la société)? des dommages et intérêts…? • «?Les soins hospitaliers en complément d’une psychothérapie intensive au cours de l’adolescence?» ?in Donald W. Winnicott (1963), Processus de maturation chez l’enfant (1965), Payot, 1988. Sarah Chiche La bonne mère ? Banale et imparfaite ! Levons d’emblée un quiproquo aux conséquences dommageables?: pour Donald W. Winnicott, il n’a jamais été question de cette désormais incontournable «?mère suffisamment bonne?» dont on lui attribue la paternité. Quand le psychanalyste britannique emploie l’expression good enough mother en 1966, cela signifie «?juste bon?», passable.? La mère good enough, c’est donc la mère ordinaire et adéquate. Au début de la vie, explique Winnicott, le nourrisson est dans une dépendance absolue à son environnement. Le bébé a un «?potentiel inné?». Mais ce potentiel ne peut s’actualiser que grâce à la «?préoccupation maternelle primaire?», une disposition psychique particulière qui se met en place durant les dernières semaines de la grossesse et qui permet à la mère, en s’identifiant à son bébé, de lui apporter «?à peu près au bon moment?» ce qui lui est nécessaire. Or les anciennes traductions françaises ont chargé la mère winnicottienne d’une dimension moralisatrice et idéalisée infondées. Car pour un Anglais, good enough veut dire «?suffisant comme ça?». Certes, Winnicott se démarque clairement de la position kleinienne en ce qui concerne le bébé –?pour Melanie Klein le nourrisson est avant tout «?cruel?», pour Winnicott il est d’abord «?sans égard?» (ruthless)?– mais il reconnaît que l’amour maternel, si puissant soit-il, n’est pas exempt d’ambivalence. Ainsi écrit-il en 1969?: «?Il est important pour moi que, dans mes écrits, ce soit toujours “good enough” qui apparaisse plutôt que “good” Je pense que les mots “good enough” aident le lecteur à éviter la sentimentalité et l’idéalisation.?»? Las, le terme a été repris à l’envi, et parfois totalement dénaturé. Ainsi, au début des années 1970, le psychanalyste Bruno Bettelheim fera des mères d’enfants autistes les grandes responsables du trouble de leur enfant?: le retrait social et l’apparente déshumanisation de ces enfants étant, dira-t-il, des réactions logiques à un environnement nocif, en l’occurrence une mère malveillante et/ou défaillante, une «?mère frigidaire?». À la suite de quoi, on a accusé Winnicott de culpabiliser les mères et d’accorder une piètre importance au rôle du père et à la femme-amante. Pourtant, on trouve sous sa plume, dans ses Conversations ordinaires, le conseil suivant?: «?La jeune mère a besoin de protection et d’information. Elle a besoin de ce que la médecine peut aussi offrir de mieux. Elle a aussi besoin d’un mari dévoué et d’expériences sexuelles satisfaisantes.?»? • «?La mère normalement dévouée?» ?in Donald W.?Winnicott, Le Bébé et sa mère, Payot,?1992.? • Conversations ordinaires ?Donald W.?Winnicott, Gallimard, 1988. Sarah Chiche Winnicott, un homme heureux Né en 1896 dans une famille bourgeoise de Plymouth (Grande-Bretagne), Donald Woods Winnicott grandit choyé par sa mère et ses deux sœurs, dans un environnement stable et sécurisant qui, semble-t-il, contribuera à façonner son bel optimisme. Diplômé de médecine en 1920, il entame en 1923 une analyse de dix ans avec James Stratchey et ouvre une consultation de pédiatrie dans deux hôpitaux différents. Il fera une deuxième tranche d’analyse avec Joan Riviere, disciple de Melanie Klein. Admis à la Société britannique de psychanalyse dès 1927, il en devient le président de 1956 à 1959 puis de 1965 à 1968. Ses collègues rapportent qu’en quarante ans de consultation, il aurait reçu plus de 60?000 personnes. Il meurt le 25 janvier 1971, dans son sommeil, après avoir regardé avec plaisir un film comique à la télévision. Ses textes proviennent souvent de conférences données devant des publics variés. Citons notamment?: Pourquoi les bébés pleurent-ils?? (1944), La Haine dans le contre-transfert (1947), La Préoccupation maternelle primaire (1956), La Consultation thérapeutique et l’enfant (1971), Objets transitionnels et phénomènes transitionnels (1971), La Petite «?Piggle?». Traitement psychanalytique d’une petite fille (1977).
Mots-clés ENFANT / PSYCHANALYSE
231
Langue Français

Connexion

Identifiant
Mot de passe
A la semaine prochaine !