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L'assistance médicale à la procréation en débat
, Quotidien du médecin (Le)
, Jouannet P
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17/03/2008
Type |
Article |
Titre
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L'assistance médicale à la procréation en débat
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Source
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Quotidien du médecin (Le)
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Auteurs
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Jouannet P
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Date de parution
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17/03/2008
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Commentaire
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L'embryon, le foetus et l'enfant issus d'une assistance médicale à la procréation : tels sont les thèmes des trois conférences-débats proposés par l'Institut du droit de la famille et du patrimoine et l'Académie de médecine. Chercheurs, sociologues, philosophes, avocats, médecins vont confronter leurs pratiques et leurs réflexions. Entretien avec le Pr Pierre Jouannet, professeur à l'université Paris-V - René-Descartes, qui a dirigé le laboratoire de biologie de la reproduction à l'hôpital Cochin, membre du comité scientifique organisateur.
LE QUOTIDIEN DU MEDECIN – Que représente aujourd'hui la procréation médicalisée en France ?
Pr PIERRE JOUANNET – L'assistance médicale à la procréation (AMP) n'est pas quelque chose de nouveau : le premier enfant né par fécondation in vitro (FIV), Louise Brown, a 30 ans. C'est une activité qui est très encadrée par la loi de bioéthique. Sur le plan médical, les techniques ont évolué vers plus d'efficacité, les taux de grossesse s'améliorent et les types d'AMP se sont diversifiés. L'événement le plus important a été l'ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïdes) en 1992, qui a permis de prendre en charge de nouveaux couples avec le traitement de la stérilité masculine. Actuellement, la majorité des FIV sont faites par cette technique. Selon le dernier bilan de l'Agence de la biomédecine (chiffres de 2005), près de 2,5 % des enfants qui naissent en France sont issus de l'AMP, soit environ 19 000 enfants par an. Les enjeux sont d'améliorer encore les performances de ces techniques en privilégiant la qualité. Nous devons mieux résoudre les problèmes d'infertilité tout en diminuant les contraintes et les risques pour la femme et l'enfant. Une des approches concerne l'utilisation de traitements hormonaux moins agressifs pour stimuler la fonction ovarienne. Combiné à des transferts mono-embryonnaires, ce type de traitement permet de maintenir d'excellents taux de succès, avec une très bonne acceptabilité par les couples et tout en réduisant le nombre de grossesses multiples.
Les stratégies de prise en charge des couples doivent-elles relever des équipes médicales ou plus généralement d'une législation ?
Chez certaines équipes, en France, tout est fait pour réduire le risque de grossesses multiples dans l'intérêt de la femme et de l'enfant. En Suède, par exemple, la stratégie du transfert embryonnaire découle d'un consensus de tous les centres d'AMP. Dans d'autres pays, comme en Belgique, c'est l'Etat qui est intervenu : le remboursement des actes est lié au transfert mono-embryonnnaire. En France, les professionnels y sont sensibilisés, mais il n'y a pas vraiment de politique nationale. Nous devrions mettre en place une telle politique au moins chez les femmes les plus jeunes, c'est-à-dire les cas les plus favorables. Plutôt que d'avoir des pratiques automatiques, il faut essayer de les adapter à la situation des femmes. Le message que je voudrais faire passer, et c'est l'un des points sur lesquels nous débattrons dans le cadre des conférences, c'est qu'il faut établir la responsabilité des pouvoirs publics et celle des professionnels dans l'organisation de l'AMP. En France, depuis la loi de 1994, ce domaine de l'activité médicale est en très nette régression dans les CHU. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a aucune politique ministérielle pour que cette activité soit développée à l'hôpital public, dans les CHU en particulier, et parce que ce domaine médical n'est pas considéré comme prioritaire par la plupart des responsables hospitaliers. D'où une inquiétude quant à l'avenir de ce type d'activité à l'hôpital public.
La révision de la loi peut-elle changer cette situation ?
Ce n'est pas un problème de loi, mais de politique. Je vais vous donner un exemple emblématique : le don d'ovocytes, rendu possible par la loi depuis 1994. Les conditions de sa mise en oeuvre sont définies avec des centres qui sont spécifiquement autorisés pour cette activité. Or, concrètement, rien n'a été fait pour que ce don soit vraiment mis en place. A Cochin, nous n'avons jamais reçu le moindre soutien pour développer cette activité. S'occuper de donneuses d'ovocytes exige un très gros travail. Il faut les accueillir, les prendre en charge médicalement et psychologiquement. Cela nécessite des personnes compétentes et formées. Nous ne les avons pas. Résultat, quatorze ans après la loi, la majorité des femmes qui veulent faire un don d'ovocytes sont obligées d'aller en Espagne et en Belgique. La loi, telle qu'elle est, serait suffisante, mais on ne l'applique pas complètement. Pour ce qui est du don d'organes ou du don de tissus, dont est chargé l'hôpital public, ça se passe bien parce que l'on a mis en oeuvre les moyens. Pour les gamètes, on n'a pas fait pareil. Une des questions fondamentales est de choisir si l'on veut que ce type d'activité existe avec certains principes éthiques dans le secteur hospitalier comme pour les autres dons ou si l'on préfère laisser s'installer la loi du marché. Le problème est moins éthique que politique. Si l'on fait des choix, il faut les assumer. On passe son temps à débattre sur la loi de bioéthique, mais lorsqu'il faut mettre en oeuvre, on laisse les médecins se débrouiller. Le bricolage n'est pas un facteur de qualité.
Pour progresser dans le domaine de l'AMP , il faut aussi développer la recherche sur l'embryon. Où en est-on aujourd'hui ?
Pour moi, le débat concernant la recherche sur l'embryon a été complètement pollué par la question sur les cellules souches embryonnaires. Il y a deux champs de recherche : les recherches qui se font sur les cellules embryonnaires, où l'embryon n'est que source de cellules ; et la recherche, dont on parle finalement très peu, sur l'embryon pour lui-même. Cette recherche consiste à connaître et à mieux comprendre les événements cellulaires et moléculaires de la première semaine du développement. Car, en fait, nous sommes très peu efficaces dans nos techniques d'AMP. En 2005, près de 11 000 enfants sont nés grâce à une fécondation in vitro. Pour cela, il a fallu transférer près de 89 000 embryons, des embryons qui étaient jugés en bon état. Il y a donc environ 90 % de ces embryons qui ne se sont pas développés. Pourquoi ? On ne le sait pas bien. Il faut améliorer les performances et, pour cela, analyser les raisons des échecs.
Comment expliquez-vous que l'on ne s'intéresse pas suffisamment à cette recherche ?
Parce que les vrais problèmes ne sont pas posés. Aujourd'hui, on mythifie complètement l'embryon. On a l'impression qu'il n'appartient pas à la vie humaine. Ce que je ne comprends pas, c'est que la recherche biomédicale est possible à toutes les étapes de la vie, excepté à l'âge embryonnaire. La première chose à faire est de réintégrer l'embryon dans le champ médical et scientifique. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le respecter. Mais, pour tous les embryons qui n'ont pas d'autre avenir que la destruction, si les personnes qui sont à leur origine sont consentantes, s'il y a une bonne question scientifique et médicale, et si les conditions de cette recherche sont réunies, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire cette recherche, alors que c'est possible aux autres étapes de la vie. Je pense que le problème est surtout idéologique.
Le législateur doit-il prendre position ?
Oui. En ce qui concerne la recherche sur l'embryon, j'attends que la loi fasse preuve de plus de réalisme et qu'elle ne soit plus aussi paradoxale. Il est assez aberrant de dire, dans le même article, que toute recherche sur l'embryon est interdite, mais qu'une dérogation peut être autorisée pendant cinq ans. Je ne comprends pas pourquoi le principe fondateur est l'interdiction de cette recherche. Je pense qu'elle devrait, au contraire, être autorisée et encadrée.
Quel est le but de ces trois conférences ? Avez-vous l'intention de participer de cette manière aux états généraux que doit mettre en place l'Agence de la biomédecine pour préparer la révision de la loi de bioéthique prévue en 2009 ?
L'idée de ces conférences, c'est de débattre du sujet de l'AMP à travers des réflexions multidisciplinaires : des médecins, des juristes, des philosophes, des sociologues. Nous n'avons pas d'autre ambition que d'échanger nos points de vue et, si cela peut apporter une contribution à la réflexion sur la révision de la loi, tant mieux. Mais on ne se sent pas investi d'une mission particulière. Il y a un point auquel nous sommes cependant très attachés, c'est d'inclure la plus jeune génération. Les professionnels de demain, ceux qui vont prendre en main cette activité, doivent également participer au débat. Nous avons cherché à faciliter la participation des jeunes (en master 2 ou en thèse dans le domaine médical et scientifique, en droit ou en sciences humaines). Nous sommes très contents, à cette occasion, d'avoir pu financer une cinquantaine de bourses. Nous leur avons proposé d'écrire une synthèse de chaque débat qui contiendra par ailleurs leur opinion personnelle sur le sujet. Ces textes seront soumis au comité scientifique et les meilleurs d'entre eux seront publiés. Parallèlement, nous avons lancé une enquête auprès des étudiants en master 2 et en thèse pour connaître leurs avis sur les évolutions nécessaires à apporter à l'activité d'AMP. Nous donnerons les résultats au cours de sessions.
Pouvez-vous déjà nous en indiquer les grandes lignes ?
Je peux vous dire que les étudiants sont plutôt conservateurs dans l'ensemble. Il y a des opinions très diverses, mais, par exemple, une majorité de jeunes sont contre le fait de créer des embryons pour la recherche, une majorité d'entre eux sont aussi contre la gestation pour autrui. C'est intéressant de voir aussi qu'ils sont, pour la plupart, contre la levée de l'anonymat. Tous ces chiffres vont être donnés à l'occasion des débats dont nous voulons qu'ils soient très riches.
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