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Prélèvements d'organes : vers une nouvelle pédagogie ?
, Quotidien du médecin (Le)
, PRUVOT F-R
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20/06/2007
Type |
Article |
Titre
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Prélèvements d'organes : vers une nouvelle pédagogie ?
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Source
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Quotidien du médecin (Le)
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Auteurs
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PRUVOT F-R
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Date de parution
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20/06/2007
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Commentaire
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DEPUIS PLUSIEURS années, la Chine est au centre d'une polémique sur l'utilisation d'organes de condamnés à mort exécutés, puis prélevés en vue de transplantations. Mais ce qui se passe en Chine nous conduit à réfléchir sur le prélèvement d'organes et les problématiques inconscientes ou culturelles qui l'entourent. En effet, dans la culture euro-occidentale, nous utilisons aussi les corps des sujets que nous avons jugés légalement morts. Et si l'horreur et le crime, en Chine, s'opposent à l'organisation sanitaire et de solidarité, en Europe et aux Etats-Unis, la violence anthropologique du prélèvement, en ce qu'elle est une intervention sur le corps des morts, est la même dans les deux cas. Considérer les relations profondes entre notre vision des corps après la mort, ce qui en est fait et l'intérêt général mérite notre attention.
Certaines analyses, par exemple («L'état chinois se considère propriétaire du corps des condamnés. Pour lui, le prélèvement de leurs organes est le seul service qu'ils puissent rendre à la société»), doivent faire la part des choses entre la juste condamnation de la peine de mort et de son commerce de corruption, d'une part, et le questionnement sur une société qui utilise des morts qu'elle a considérées comme juridiquement légales, d'autre part. L'interpellation sur les notions de « propriétaire du corps » et de « service à rendre à la société » est ambiguë. En France, si les familles sont propriétaires et dépositaires de leur deuil, de leur souffrance et de la prise en charge intime du mort et de son évocation, il n'y a, en revanche, aucun droit de patrimonialité, donc, de propriété sur les corps. Ceux-ci n'appartiennent à personne et, en pratique, c'est la société qui régit les destinées réglementaires et juridiques de ces corps (la profanation de sépultures, d'ailleurs, ressort du trouble de l'ordre public).
Totalitarisme sanitaire. Dans la sacralisation du corps mort, en ce sens qu'elle nous relie au souvenir « sacré » de notre relation au défunt, la notion du morbide, au sens primitif du terme, est constamment présente dans le contexte – quel qu'il soit – du prélèvement d'organes. De ce point de vue, il faut discerner dans notre indignation combien nos propres concitoyens sont profondément persuadés que le prélèvement d'organes sur sujet décédé relève, malgré l'habillage de solidarité et de générosité qu'il comporte, d'une autorité de l'Etat ou de la communauté vécue comme une violence vis-à-vis de l'intime. C'est toute la promotion du don d'organes qui tente d'en atténuer année après année les effets, mais pour l'instant avec un succès mitigé, puisque le taux de refus auprès des familles en France reste imperturbablement de 30 % depuis quinze ans. Nous acceptons l'autoritarisme de l'Etat vis-à-vis des fumeurs, pas vis-à-vis des prélèvements d'organes. Or, dans le principe, le « totalitarisme sanitaire » est du même ordre, c'est le « bien-être » de la population. C'est ce même principe qui avait légalisé en Autriche l'autopsie des morts sur simple décision médicale (et les Autrichiens s'y sont habitués). Les Etats de droit ont des pratiques de santé autoritaires qui sont conformes à leurs intérêts.
Il est important d'analyser en quoi nos indignations peuvent être utiles à une meilleure pédagogie du prélèvement sur cadavre en mort encéphalique. La dureté psychologique intime naturellement associée aux actes de prélèvements d'organes est inévitable, fussent-ils effectués dans la plus stricte légalité et avec l'empathie propre à nos organisations occidentales. Séparer la prise en charge des rites entourant la mort (de plus en plus laïques) de la question des prélèvements est donc fondamental. Non seulement il faut éviter le questionnement sur le prélèvement au décours immédiat du décès, comme cela est proposé depuis plusieurs années, mais sans doute faut-il aussi, et paradoxalement, faire une moindre publicité sur le traitement des corps. Or nous faisons l'inverse. C'est probablement inefficace. La mort s'éloigne progressivement (à tort ?) de nos univers occidentaux. On meurt à l'hôpital, on ne touche plus les morts, on incinère plus souvent qu'avant. Notre approche des familles pour le prélèvement d'organes doit en tenir compte. D'autant plus que l'évolution vers une vision aseptisée du corps et une éducation plus systématique en faveur des prélèvements auprès des jeunes générations porteront leurs fruits progressivement. C'est auprès des enfants et des adolescents qu'il faut faire l'effort d'éducation et de publicité en faveur des prélèvements d'organes, non pas auprès des adultes. En revanche, parler des greffes d'organes et de leurs succès correspond au besoin effréné d'informations médicales qui passionnent les opinions publiques.
Rétribution, reconnaissance. Il existe, par ailleurs, des sociétés occidentales dans lesquelles la rétribution d'un don d'organe est à l'ordre du jour. D'ailleurs, c'est bien le caractère gratuit ou en apparence gratuit du don d'organes qui pose un problème psychologique de fond à notre société, au sens du triptyque d'Hannah Arendt, «Donner, recevoir, rendre». La question du « rendre », à l'échelle institutionnelle de notre pays, reste une question non résolue, en tout cas imparfaitement solutionnée par la Journée nationale du don, qui mélange remerciements individuels et collectifs, promotion du don et publicité sur les greffes d'organes. Le « rendre », dont on connaît bien les problématiques privées et individuelles, peut s'exprimer dans la greffe avec donneur vivant, mais il se trouve orphelin vis-à-vis du donneur anonyme de la mort encéphalique. Dans l'histoire des greffes à partir de donneurs cadavériques, la reconnaissance anonyme et globale de la communauté est un pis-aller. Elle ne doit être qu'une phase transitoire permettant aux générations futures de se réapproprier un sentiment implicite du collectif. Pour un temps, cette attitude pourrait-elle être matériellement valorisée ? En tout cas, l'escamotage progressif de la mort dans nos sociétés pourrait faire place ultérieurement à un réflexe désincarné de l'évidence du prélèvement.
Est-ce un rêve ? Peut-être pas. Il est probable que, en matière de prélèvements d'organes, nous pourrons parier sur le recul historique objectif de la mort et les conséquences de ce recul sur les rites de passage tels que les définissent les anthropologues. Les deux enjeux majeurs de l'avenir de la pédagogie du(des) prélèvement(s) d'organes sont donc une acceptation assumée, tacite et progressivement aseptisée de l'utilisation des éléments du corps humain après la mort et l'introduction de la valorisation objective du don. Nous devons nous y préparer.
En outre, l'autre grande question est l'utilisation plus fréquente d'organes et de tissus à partir de donneurs vivants.
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