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Fonds documentaire : Article
Titre Comment se transmettent les pratiques alimentaires. Entretien avec Isabelle Garabuau-Moussaoui
Source Sciences humaines
Auteurs Halpern C
Date de parution 01/06/2004
Commentaire Autour du jeu de la dînette ou de la préparation de gâteaux par les enfants se bâtit une transmission culturelle. Isabelle Garabuau- Moussaoui nous invite à la découverte de ce processus. Sciences Humaines : Vous avez réalisé entre 1995 et 2000 plusieurs enquêtes sur les pratiques alimentaires auprès des jeunes en vous intéressant notamment à l'apprentissage alimentaire et culinaire qu'ils avaient reçu. Que cherchiez-vous à travers ces enquête ? Quelle a été votre méthode ?Isabelle Garabuau-Moussaoui : L'idée répandue au milieu des années 90 était que les jeunes ne savaient plus cuisiner ni s'alimenter correctement, bref qu'il n'y avait plus de transmission culinaire et alimentaire. C'est ce préjugé que nous avons voulu interroger. Pour ce faire, nous avons réalisé en 1995-1996 des entretiens et des observations auprès de trente jeunes qui avaient alors entre 20 et 30 ans, et organisé des tables rondes, rencontrant ainsi au total plus d'une cinquantaine de personnes qui avaient vécu leur enfance dans les années 1970-1980. Nous avons choisi d'interroger des jeunes urbains de classe moyenne parce qu'ils nous semblaient entrer dans le mouvement d'allongement de la jeunesse, avec un départ plus tardif du foyer familial. Nous avons recueilli leurs histoires de vie : ces jeunes nous ont raconté ce qui les avait marqués en termes alimentaires et culinaires dans l'enfance. Il s'agit donc de souvenirs, non de l'observation directe d'enfants. Par l'analyse de leurs discours, nous avons voulu comprendre les mécanismes de la transmission. Puis, nous avons réalisé une autre enquête en 2001, avec Laure Ciosi-Houcke, Cécile Pavageau et Magali Pierre, sur la même génération, ce qui a permis une vision longitudinale. Il apparaît que la famille est le lieu privilégié de l'apprentissage de ces pratiques dans l'enfance... Dans les souvenirs évoqués, la famille est en effet le principal lieu d'apprentissage culinaire et alimentaire dans l'enfance. La caractéristique de cet apprentissage est qu'il est contextuel. L'enfant apprend en « baignant » dans la famille ; il vit le quotidien et l'intègre comme étant la norme. Il apprend à la fois ce qu'on mange et ce qu'on ne mange pas dans sa famille, dans le pays ou dans la culture locale. Cette période est capitale pour la formation des goûts. L'enfant va prendre certaines habitudes, aimer certains produits. Par l'alimentation, il distingue aussi différents rythmes : le week-end et la semaine (les mères ont plus le temps de cuisiner le samedi ou le dimanche), les saisons, les vacances... Il va apprendre les manières de table, à rester droit, à tenir correctement ses couverts, à ne pas manger avec les doigts, assimilant les rôles, la place de chacun dans la famille. Pour les jeunes que nous avons interrogés, la cuisine constitue un espace et une pratique construits comme féminins. Tandis que la salle à manger apparaît comme un lieu mixte, voire masculin (le père peut ainsi privilégier le repas dans cette pièce pour regarder le journal télévisé), la cuisine au contraire est perçue comme le lieu de la mère, propice aux confidences mères-filles. L'enfant constate, même si cela dépend des familles, que maman cuisine plus régulièrement, que papa met parfois la main à la pâte mais pour des occasions plus festives. Les places à table répondent aussi à des règles et obéissent souvent à une certaine hiérarchie, que peut aussi reproduire la quantité de nourriture attribuée à chacun ou sa distribution. Le père peut avoir droit à plus de viande ou à certains morceaux. Un des jeunes raconte ainsi qu'il cherchait toujours à manger le croupion alors que c'était le morceau réservé à son père. C'est la place du père de famille qui se jouait là. La famille joue donc un rôle déterminant dans l'apprentissage des goûts et des règles de table, elle révèle les rôles sociaux. Mais ce n'est pas le seul lieu d'apprentissage. Les crèches et les assistantes maternelles puis la cantine à l'école ont souvent joué un rôle important pour les enfants qui les fréquentaient. Ils y ont découvert des plats ou, au contraire, y ont constaté l'absence de plats qu'on mangeait dans leur famille. C'est notamment le cas pour les enfants d'origine étrangère, qui ont ainsi constaté la différence entre leur culture alimentaire familiale et celle de leur pays d'accueil. Les repas chez les copains ont souvent été importants, en offrant un autre point de comparaison. Enfin les grands-parents apportaient d'autres rapports aux normes : soit les règles étaient plus fortes chez eux (mise en scène plus formelle de la table...), soit elles pouvaient être plus souples (« mamie gâteau »). Les jeunes évoquent également le souvenir d'une cuisine plus élaborée chez leur grand-mère, « parce qu'elle avait plus le temps ». La génération sur laquelle porte votre étude, la génération « gloubi-boulga » (du nom de la recette de Casimir dans l'émission fétiche « L'île aux enfants ») est la première à avoir connu massivement le travail prolongé et indépendant des mères. Elle a aussi été marquée par la télévision. Ces évolutions sociales ont-elles influencé son apprentissage de l'alimentation et de la cuisine ? Contrairement aux générations passées, cette génération est aussi celle où les mères sont en effet entrées en masse dans la vie active. Les incidences sont nombreuses. La cuisine dans la semaine était souvent moins sophistiquée et plus rapide que le week-end. Certains jeunes nous ont aussi raconté que le discours des mères était plus revendicatif sur le plan de l'égalité des sexes : elles voulaient que leurs filles fassent autre chose qu'apprendre la cuisine, qu'elles acquièrent un métier, qu'elles s'émancipent. Mais ce changement de discours se retrouve aussi pour les garçons, qui du coup avaient davantage accès à la cuisine que les générations passées et ont plus appris que leurs aînés sur le plan culinaire. A cette génération correspond donc le début d'un renversement de la transmission, même si la cuisine est toujours considérée comme une pratique féminine, et même si plus tard les garçons ont tendance à « oublier » ce qu'ils ont appris une fois qu'ils sont en couple. C'est aussi une génération qui passait souvent le mercredi seule à la maison. Cette donnée se dégage de manière assez importante dans les entretiens. Il y avait ce jour-là des émissions culinaires pour enfants qu'ils aimaient regarder. Beaucoup ont été marqués par « L'île aux enfants » et la recette du gloubi-boulga, qui symbolise la liberté créatrice des mélanges. Enfin, la latitude dans le champ domestique était sans doute un peu plus grande : les parents laissaient, plus facilement qu'auparavant, les enfants inviter leurs amis, faire de la cuisine en groupe... Le jeu s'avère être un mode important d'acquisition des pratiques et des rôles liés à la cuisine... Manger, jouer, observer constituent les trois vecteurs d'apprentissage de l'alimentation et de la cuisine, et ils forment système dans l'enfance. C'est sous la forme du jeu que se font les premières pratiques culinaires, en miniature. La mère par exemple donne un bout de pâte aux enfants pour qu'ils s'amusent et fassent des gâteaux. Mais les enfants n'ont pas accès à la cuisson et aux ustensiles coupants, trop dangereux. Avec les moyens à leur disposition, les enfants essaient souvent d'imiter la cuisine mais avec plus de liberté, en mélangeant dans le jardin de la terre, des feuilles, des herbes... Avec les dînettes, les enfants imitent la sociabilité des repas. Les filles ne sont pas les seules à participer à ces jeux. On constate à ce niveau une quasi-indifférenciation sexuelle. En revanche, la différence sexuelle se marque plus à l'adolescence. Les filles vont être davantage sollicitées pour cuisiner, faire la vaisselle. Cela dépend bien sûr des familles. Mais les souvenirs recueillis renforcent l'impression que, pour les filles, la cuisine devient dans l'adolescence une tâche ménagère alors que, dans l'enfance, elle était encore un jeu. En quoi l'adolescence puis la jeunesse marqueront-elles une rupture dans l'apprentissage du processus d'acquisition alimentaire et culinaire ? L'adolescence est marquée par une volonté de transgression. Au niveau alimentaire, l'adolescent va faire des mélanges, des raviolis au Nutella, des céréales à la sauce tomate... Il va être plus actif, être prescripteur au niveau des achats, ramener des produits de ses voyages à l'étranger, remettre en question l'organisation familiale telle qu'elle s'est construite. Ensuite, au moment de la jeunesse (après 16-18 ans), il continue à transgresser les règles, mais l'objectif est de se nourrir et donc de parvenir à un résultat comestible. Surtout quand le jeune n'habite plus chez ses parents. Mais il va développer un système alimentaire et culinaire propre. Les jeunes sont dans l'inversion sociale et donc ne veulent pas faire comme leurs parents. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils ne connaissent pas la norme. Du reste, au moment de la mise en couple ou à la naissance du premier enfant, les jeunes remobilisent souvent ce qu'ils ont appris, ils demandent conseil à leur mère, appellent pour avoir telle ou telle recette... Sous l'angle des interdits, il y a aussi une nette évolution. Quand on est enfant, un interdit se rapporte à la cuisson : on n'a pas le droit de faire tout ce qui brûle. L'adolescent est peu à peu initié à la cuisson, mais le plat principal est souvent considéré comme relevant de la compétence maternelle. Les adolescents préparent les entrées ou les desserts. Au moment de la jeunesse, on estime ne pas avoir cette compétence du plat principal : les jeunes ne cuisinent pas de gros morceaux de viande en sauce ou des poissons entiers. Ils vont plutôt mélanger des féculents comme les pâtes ou le riz, de la sauce, des petits morceaux de viande en ajoutant des épices, qui apportent un goût fort mais simple à cuisiner Comment vont évoluer les goûts ? D'un côté, les enfants mangent certains produits qui leur sont destinés, qui sont connotés : certains yaourts ou gâteaux, le Banania, etc. De l'autre côté, il y a des aliments que les parents ne donnent plus quand ils voient qu'ils ne sont pas appréciés. L'enfant a donc une alimentation différente de celle des adultes. Puis, à un moment donné, les adolescents vont réessayer des aliments qu'ils évitaient, comme les épinards, le foie, etc. Parfois cette réintégration va se faire à l'initiative des parents, parfois c'est l'adolescent qui manifeste la volonté d'élargir son alimentation. Il y a l'idée que l'on est désormais un « grand » et qu'il faut manger des choses qu'on ne mangeait pas auparavant. Prenons le cas du café. Les enquêtes montrent qu'il s'agit d'un véritable rite de passage. Les adolescents vont se retrouver ensemble dans des cafés et faire l'apprentissage de ce breuvage qu'ils trouvent pourtant amer... Pour passer ce cap, ils vont adoucir le café en mettant du lait ou du sucre pour s'habituer petit à petit. Le café va progressivement être intégré au petit-déjeuner à la place du chocolat chaud ; au déjeuner, l'adolescent va faire en sorte d'être présent au moment du café avec les parents, pour partager ce moment particulier entre adultes. Petit à petit, il mettra moins de lait, de sucre. On remarque le même processus pour les fromages forts (enquête de 2001). Ce sont vraiment des marqueurs de passage de l'enfance à l'adolescence. Des aliments vont être réintroduits et d'autres, marqués « enfant », vont être éliminés, comme le chocolat du matin. Pourtant, au moment de la jeunesse, ces aliments enfantins (comme les Danette, le Banania...) vont parfois être repris de manière nostalgique par les jeunes.
Mots-clés ALIMENTATION / SCIENCES HUMAINES / COMPORTEMENT ALIMENTAIRE / FAMILLE
Langue Français

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