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Fonds documentaire : Article
Titre La culture des 12-15 ans
Source Sciences humaines
Auteurs Danic Isabelle
Date de parution 01/12/2007
Commentaire Une bande de copains, un look à la mode, un langage codé…, l’adolescent relègue sa famille au second plan pour adopter les signes culturels de sa génération. Pas de grande opposition, donc, mais plutôt une résistance feutrée à l’autorité. Avec comme point de mire la reconnaissance des adultes. On les croise dans les rues, parlant fort, jurant, usant de termes inconnus ; on les aperçoit cheminant vers leurs collèges, baskets et sacs au dos, se bousculant ; on les côtoie parfois chez nous, avec le sentiment de ne pas les connaître, et surtout de ne pas les comprendre. Qui sont donc ces garçons et filles de 12-15 ans, aux attitudes parfois bien déroutantes ? Et surtout, pourquoi paraissent-ils agir si souvent en décalage avec le monde des adultes ? Les copains d’abord… « C’est les amis qui sont le plus important. Les parents, y’ en a marre, toujours en train de gueuler. Quand t’es avec tes amis, ils te posent pas de questions, t’es détendu. Tu fais des bêtises, ils vont rigoler avec toi, ils vont te suivre », énonce Tsia sans ambages. Les relations entre adolescents priment en effet dans leur existence. La famille est relayée au second plan. Ceux qui comptent sont les pairs. Les 12-15 ans s’organisent en réseaux d’affinité : les filles entre elles, les garçons entre eux, ceux du quartier d’une part et ceux de la commune voisine d’autre part. L’activité principale et préférée est la discussion. Apparemment insignifiants, les échanges relèvent pourtant de préoccupations fondamentales telles que l’intégration dans le groupe, la nature et la force du lien aux autres. Il s’agit d’apprendre et de maîtriser les règles de sociabilité. Les relations avec l’autre sexe nourrissent beaucoup les débats. Pour ce sujet, et en général dès qu’ils veulent exclure des discussions les adultes ou les enfants, les adolescents utilisent un « parler jeune » constitué de verlan, d’argot, de termes étrangers. Mais les échanges ont aussi un autre objectif social : ils visent à « se marrer ». Plaisanter, rire, faire rire sont des actions intégratives au groupe. En cours d’anglais, Flora lit un passage du texte au lieu de répéter la phrase comme le lui a demandé l’enseignante. « Tu n’écoutes pas. Encore une fois comme ça, et je te sanctionne. » Quelques minutes plus tard, l’enseignante interrompt un élève pendant une phrase. Trois élèves réagissent : « Vous n’écoutez pas, Madame. Vous n’étiez pas attentive, encore une fois et vous serez punie. » Les plaisanteries ont souvent trait aux adultes (ou aux enfants), pour se divertir mais aussi pour s’en distinguer. Ni enfants, ni adultes Les activités permettent aux adolescents de s’identifier à leur classe d’âge. « Après le collège, je regarde la télé, je joue à la Playstation », rapporte l’un d’eux. Même réalisées seul dans la chambre, les occupations alimentent des échanges ultérieurs avec les autres adolescents, sur un fond commun de références qui manifestent l’adhésion à un groupe. Le « look » permet également à chacun de se reconnaître entre pairs et joue un rôle déterminant dans l’intégration. « Il y en a qui s’habillent pas normalement, déclare Grégory, je les fréquente pas. » Il s’agit de se distinguer des allures adulte ou enfantine. Les filles refusent généralement les attitudes connotées « femmes » : « J’aime pas être en jupe, rapporte Gwladys, toujours en baskets. J’aime pas les chaussures à talon. » Les garçons se réfèrent aux « lascars », adoptant pour la plupart la tenue sportive de marque. Ce phénomène d’identification au groupe d’âge (pas aux lascars) est ambigu. Plus ou moins distants de ces normes individuellement, les adolescents les valorisent cependant quand ils sont ensemble et tentent pour la plupart de les respecter et de les faire respecter par les autres, générant une autocontrainte collective très forte. Leurs références culturelles, vestimentaires, musicales, technologiques changent quand des enfants ou des adultes en empruntent certaines. Elles s’adaptent aussi à l’apparition sur le marché de nouveaux produits. On le voit, ce qui caractérise la culture adolescente n’est pas tant l’acquisition d’objets ou l’adoption d’attitudes précises, mais bien plutôt la recherche d’une culture de groupe qui lui soit propre. Le collège est le principal lieu où les 12-15 ans façonnent et expérimentent leur appartenance à une génération, à un « nous » distinct du monde des adultes et de l’enfance. Les établissements diffèrent bien entendu entre eux, mais les élèves ont néanmoins la conscience de participer à une expérience commune. En France, les jeunes de cet âge ont l’obligation de fréquenter le collège unique depuis trente ans. La scolarisation est d’abord perçue comme une contrainte. « On n’a pas le choix, d’t’façon », ironise l’un d’eux. Elle subordonne les élèves aux adultes, aux enseignants et aux parents. Certes, que ce soit dans les établissements scolaires ou socioculturels, dans la famille, la hiérarchie entre adolescents et adultes est moins marquée aujourd’hui que dans les générations antérieures. Cependant, les injonctions familiales et les politiques publiques continuent de fixer certaines limites – telles que la loi interdisant les rassemblements dans les halls d’immeubles ou encore les décrets municipaux interdisant les espaces publics aux moins de 15 ans après une certaine heure. Ce cadre est parfois mal ressenti. « Je vois pas pourquoi on peut pas discuter dans le hall, se plaint Justine. On a le droit d’être là, c’est notre hall aussi. » Une manière pour les jeunes de prendre leurs distances vis-à-vis de cette « domination » est d’utiliser certaines formes d’expression propres aux adolescents des milieux populaires (parler jeune, « look », musique, danse, chahut…). Parfois aussi, de recourir à la dérision, l’ironie, l’esquive et la passivité. Les adolescents cherchent une valorisation sociale, et pour ce faire, ils mettent à profit aussi bien leurs ressources physiques (force, beauté, charisme) que leurs ressources verbales (humour, second degré), ou encore leur capital social (les grands frères, les cousins, etc.). Lascar, plutôt qu’intello… Cette résistance quotidienne « douce » peut ponctuellement prendre des formes plus violentes. « Hier, raconte Chloé, y’ a John et deux autres, ils ont lancé des cailloux à un petit vieux qu’était à sa fenêtre. » L’affrontement direct avec l’adulte est observable dans le quartier, dans le collège, voire dans certaines familles ; il est le fait d’une minorité, de quelques garçons de milieu moyen ou favorisé, quelques filles de milieu populaire et des garçons de milieu populaire. Ces « lascars » comme les appellent les autres, qui sont aussi les plus perturbateurs dans les classes, s’attirent une forme de respect, de valorisation par le groupe. Ils « sont drôles », ils ont la « tchache », par opposition aux « intellos », « ceux qui parlent assez bien, qui se tiennent à carreau, qui sont un peu lèche-cul avec des profs », résume Justine. Valoriser le « lascar », c’est valoriser l’insoumission contre la subordination, autrement dit contester la domination et l’ordre adulte. L’opposition à la règle fixée n’est pas systématique chez ces lascars, ni constante dans le temps. Les mêmes peuvent s’opposer aux adultes dans certaines situations, et coopérer dans d’autres circonstances. Ces basculements s’observent tant en famille, qu’au collège ou dans le quartier. Les adolescents sont en fait des individus pluriels [1]. Ainsi cet enfant perturbateur déclare : « C’est vrai maintenant je me rends compte qu’il vaut mieux que je bosse. Je me suis laissé un peu aller. Il faut travailler, t’es au collège c’est pour travailler. » La culture adolescente n’est pas non plus une culture d’aliénation par la consommation, comme on l’entend souvent. Les entreprises constatent qu’il est difficile de convaincre les adolescents : contre toute logique de marketing, ceux-ci rejettent souvent des biens ou des services qui leur étaient destinés [2]. De même que les 12-15 ans sont multiples dans leurs réactions, les adultes n’ont pas une attitude figée envers leurs adolescents : ils balancent entre un souci d’autorité et une recherche de relations égalitaires. Au final, face à cette domination douce, les 12-15 ans créent somme toute une culture de résistance feutrée. En quête, avant tout, de reconnaissance sociale, ils se construisent un univers distinct, loin des attentes du monde adulte.
Mots-clés ADOLESCENCE / CULTURE
Langue Français

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