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Fonds documentaire : Article
Titre Du médical au culturel, changement de regard
Source Sciences humaines
Auteurs MARMION J-F
Date de parution 01/02/2010
Commentaire Peut-on parler d’une «?culture?» et d’une «?fierté?» du handicap?? En gagnant davantage de visibilité et de moyens d’expression, les personnes en situation de handicap affirment leur exigence de reconnaissance. Le handicap, à qui la faute?? A la nature, à la fatalité?? Peut-être, mais aussi et surtout, entend-on aujourd’hui, à nous tous. L’organisation même de la société se voit incriminée. Et la notion d’«?inclusion?» a supplanté celle d’«?intégration?». Qu’est-ce à dire?? Que jadis, la personne handicapée qui ne pouvait s’adapter à son environnement, à la société, était davantage laissée à ses problèmes. Mais que dorénavant, c’est à la société de s’adapter pour faire monter tout le monde dans le même bateau. Le service supplante la pure logique administrative. Et l’exigence de «?compensation?» a chassé la compassion au nom de la qualité de la vie et de l’accession non plus seulement aux transports en commun ou aux loisirs, mais au maximum d’autonomie possible (1). Voilà pour la belle histoire. Dans la réalité, le quotidien des handicapés français ne s’est pas miraculeusement résolu en février 2005, après la loi entérinant ce nouveau regard sur les personnes handicapées (encadré ci-dessous). En cinq ans, la situation a évolué de manière plus chaotique que prévu. 20?000 enfants ne seraient toujours pas scolarisés, et 5?000 le seraient en Belgique, faute de place dans l’Hexagone. Le financement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) par l’Etat semble erratique dans certains départements. Le taux d’activité, lui, stagne aux alentours de 45?%?: à partir de 2010, c’est la méthode du coup de bâton qui incitera les entreprises de plus de vingt salariés à embaucher les 6?% de personnes handicapées prévues depuis une loi de 1987 (50?% ne la respecteraient pas). La moitié des salles de cinéma et 80?% des lignes de bus ne sont toujours pas équipées (la loi donne 2015 comme date-butoir)… Et dans l’attente de nouveaux outils, les évaluations françaises de la gravité du handicap sont toujours calquées sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1980. Un flou statistique permanent En outre, la notion de handicap est redéfinie, affinée, mais reste élastique. Pour citer un débat épineux, l’autisme constitue-t-il un handicap, comme le juge l’OMS, ou une psychose, à en croire bon nombre de cliniciens français?? Le handicap mental n’est-il qu’une affaire de QI, qui ne mesure qu’un certain type d’intelligence?? De telles considérations ne sont neutres ni pour les intéressés, ni pour l’entourage familial, ni pour le personnel soignant, ni pour les pouvoirs publics. Comment, du reste, parvenir à une définition consensuelle pour un phénomène recouvrant des situations individuelles aussi disparates?? Rien de commun entre une personne frappée de surdité et une autre en situation de dépendance totale du fait d’un polyhandicap (cumulant par exemple déficience mentale profonde et tétraplégie)?; entre un aveugle de naissance et quelqu’un qui perd la vue?; entre un octogénaire qui devient paraplégique suite à une mauvaise chute et une adolescente qui perd l’usage de ses jambes dans un accident de la route, à l’aube même de sa vie d’adulte. Puisque le handicap reste une notion mouvante, le flou statistique est permanent, selon la sévérité de l’incapacité prise en compte. L’enquête HID («?Handicap, invalidité, dépendance?») menée par l’Insee en 1998 et 1999 relevait pas moins de 12 millions de Français handicapés au sens large (déficience), moitié moins au sens plus étroit (incapacité) . L’impression d’une reconnaissance du handicap par étapes linéaires, aboutissant, en France, au couronnement de la loi de 2005, serait donc un trompe-l’œil. D’autant que plus les handicapés sortent de l’ombre, s’affichent et se font entendre, et qu’éclosent des controverses autrefois inenvisageables, attestant que la problématique ne relève plus seulement de la médecine mais investit le terrain socioculturel. Dans les années 1990, ils ont d’abord acquis une visibilité inédite. Avec des initiatives comme le Téléthon, certes, mais aussi avec la reconnaissance d’une élite?: le public comme les milieux artistiques ont consacré des personnalités comme Emmanuelle Laborit (comédienne sourde qui remporta le Molière de la révélation théâtrale en 1993), Pascal Duquenne (atteint du syndrome de Down et Prix d’interprétation masculine à Cannes en 1996), ou encore le pianiste de jazz Michel Petrucciani, le physicien Stephen Hawking… Mais ces dernières années, avec l’essor d’Internet, les anonymes ont pu bénéficier, eux aussi, d’un espace d’expression inconnu jusqu’alors?: beaucoup racontent leur quotidien sur des blogs (2), souvent avec un humour décapant, ou via des groupes Facebook. A l’automne 2009, de façon plus épineuse, des parents ont choisi de filmer leur fille handicapée 24 heures sur 24 (puis, devant le tollé, quelques heures par jour). Une webcam permet de suivre au quotidien la vie de cette femme de 32 ans, dépendante à 100?%, ne pouvant accomplir aucun mouvement à cause d’une déficience cérébrale (3). Voyeurisme, sensibilisation, ou aboutissement d’une revendication d’égalité et de visibilité?? En publiant chaque année un calendrier «?Handis nus?», l’association Cal’Handis suscite des réactions passionnées (4). Lancé début 2008 par l’artiste Deza Nguembock, handicapée elle-même, le projet Esthétique et handicap de l’association Dez’Arts présente une exposition photo itinérante avec modèles handicapés, parfois nus eux aussi (5). Les clichés devaient être montrés sur des bus parisiens à l’hiver 2008. La réalisation a été repoussée… Les bons sentiments s’arrêtent au corps, comme en témoigne le débat sur les «?assistant(e)s sexuel(le)s?», visant à assouvir le droit de tout un chacun à une vie affective et sexuelle (6). La pratique, très encadrée, est admise en Suisse ou aux Pays-Bas, par exemple. En France, elle serait légalement assimilée à de la prostitution. Les handicapés seraient des gens comme les autres, mais n’auraient pas le droit de disposer de leur corps, ni pour le montrer ni pour en jouir… Vers une culture handicapée?? Comme les autres, mais à part?: ce paradoxe engendré par l’ambivalence d’une société conçue par et pour des valides est parfois cultivé par les personnes handicapées elles-mêmes, aux frontières du communautarisme. Certains sourds, auxquels s’intéresse par exemple l’ethnologue Yves Delaporte (7), revendiquent ainsi de ne pas être considérés comme handicapés mais comme membres d’une culture à part entière avec ses réseaux de sociabilité, ses usages, et surtout sa langue propre, aussi riche que n’importe quelle autre. Conséquence logique?: les tentatives de surmonter mutisme ou surdité, comme les implants cochléaires, sont assimilées à la négation d’une culture. Le débat «?gestualistes?» (partisans de la langue des signes) contre «?oralistes?» (qui prônent l’apprentissage du langage vocal s’il devient possible) divise la communauté sourde. Aux Etats-Unis, beaucoup plus pointilleux que la France sur la question du handicap, le 18 juin est l’Autistic Pride Day (la Journée de la fierté autistique), où des associations militantes demandent que l’autisme ne soit plus considéré comme un trouble à soigner ou un handicap à compenser, mais comme une différence issue de la «?neurodiversité?», à respecter comme telle. Des regards encore fuyants Autre paradoxe inédit mettant en jeu l’identité même des personnes en situation de handicap?: grâce aux progrès des neurosciences, les premiers appareils permettant aux aveugles de voir avec la langue ou aux paraplégiques de diriger leur fauteuil par la pensée sont déjà opérationnels. Dans quelques années, avec leur commercialisation massive, nous ne serons plus dans la science-fiction. Certains posthumanistes y voient la préfiguration de l’homme de demain, le cyborg repoussant les limites de sa nature, voire de la nature humaine en général… Dans cette perspective, les laissés-pour-compte d’hier sont les éclaireurs des décennies qui s’annoncent. Oui, mais… Oscar Pistorius, athlète sud-africain amputé des deux pieds, a remporté la médaille d’or aux Jeux paralympiques de 2004 et 2008 grâce à ses prothèses très perfectionnées. Très, et même trop?! Une décision de la Fédération internationale d’athlétisme, finalement invalidée par le Tribunal arbitral, voulait lui interdire de concourir face à des athlètes valides, peut-être désavantagés avec leurs jambes de chair et d’os. Ironie du sort?: la volonté que ce sportif handicapé trop performant reste à sa place, dans sa catégorie, sans se mêler à des compétiteurs «?normaux?» qu’il pourrait surpasser, fait penser à ces courses de chevaux, dans l’Irlande du XIXe siècle, où, pour préserver l’égalité des chances de victoire entre tous les concurrents, les meilleures montures étaient pénalisées au départ. Le procédé s’appelait «?la main dans le chapeau?», ou hand in cap. A l’origine d’un terme promis à la propagation que l’on sait… Les débats ne se cantonnent décidément plus à la sollicitude et au soin, mais véhiculent des interrogations plus générales sur le rapport au corps, la normalité, le culte de la performance, et l’identité des minorités devenues visibles pour des regards encore fuyants.
Mots-clés HANDICAP / IMAGE / ANTHROPOLOGIE CULTURELLE / PSYCHOLOGIE
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Langue Français

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