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Fonds documentaire : Article
Titre Ils veulent faire l'amour !
Source Sciences humaines
Date de parution 01/01/2013
Commentaire À cause d’un handicap – mental ou physique –, certains d’entre nous sont privés de vie sexuelle. Est-ce à l’État d’intervenir en créant un cadre juridique adapté?? Deux livres invitent à la réouverture du débat. «?Lève-toi, et jouis?!?» L’idée d’un «?droit à la sexualité?» des personnes handicapées a été lancée en France par ce titre hardi. C’était en 2009, dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Depuis, le débat s’est refermé, comme mis sous le boisseau. Si l’Europe du Nord, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse ont légiféré, la société française reste largement sourde à ces questions sensibles?: les personnes lourdement handicapées font-elles l’amour?? Où et comment?? Qui les soulage sexuellement quand elles ne peuvent pas se masturber seules?? Est-il moral et raisonnable d’encourager cette sexualité, en autorisant par exemple l’assistance érotique?? ?? Ni asexuels ni pervers, simplement humains? À quelques jours d’intervalles, deux livres abordent frontalement le sujet. Le premier est un témoignage. Écrit par l’essayiste Marcel Nuss, il s’intitule tout simplement Je veux faire l’amour. Atteint d’une amyotrophie spinale infantile – une maladie congénitale évolutive –, l’auteur n’a jamais marché. Il a un physique disproportionné, «?repoussant?» diraient certains. Il ne peut pas se toucher seul, ce qui contribue selon lui à le déconnecter complètement de son corps. Pourtant, à 57 ans, il peut se targuer d’avoir vécu une vie sexuelle foisonnante?: mariage, double paternité, divorce, maîtresses multiples, relations tarifées… Véritable Casanova en fauteuil, il revendique aussi une bisexualité qu’il n’a toutefois jamais expérimentée. ?Son récit de ses «?escapades sexuelles?», à la fois cru et joyeux, contribue à lever le voile sur une vérité enfouie?: on peut être handicapé et accéder à une sexualité épanouie. Se racontant à ses heures les plus fastes (quand il est flatté par une femme pour ses performances) comme les plus sombres (il évoque à demi-mot les violences dont il a été victime), il cherche à faire sauter quelques verrous culturels, et notamment à fracasser deux mythes tenaces?: l’image angélique du handicapé asexuel, sans désir ni besoin?; ou, à l’inverse, l’image diabolique du pervers – ou du «?gros cochon?» – qui «?ne pense qu’à ça?». Or, pas plus que les personnes âgées, les personnes handicapées ne doivent se laisser piéger par ces représentations que la société leur assigne. Elles sont simplement humaines et, à ce titre, peuvent légitimement revendiquer une vie intime. Leur sexualité, conclut M. Nuss, doit être reconnue comme une liberté fondamentale. Pour lui, il est donc urgent d’accompagner leur découverte de la sensualité en formant des assistants sexuels pour les personnes handicapées et dépendantes. ?Le second livre, dense et subtil, plaide dans le même sens. Rédigé par un philosophe, Norbert Campagna, il pose dès son titre la question la plus épineuse?: La Sexualité des handicapés. Faut-il seulement la tolérer ou aussi l’encourager??Primé en 2012 par le Trophée de la recherche en éthique, son travail met à l’épreuve les convictions du lecteur grâce à ses nombreux cas pratiques. Comme M. Nuss, N. Campagna part du principe que la sexualité fait partie intégrante de l’humanité de chacun, jeune ou vieux, valide ou pas. La lui nier, c’est nier une partie de son humanité. Cependant, remarque N. Campagna, de nombreuses personnes restent à la porte de toute vie sexuelle?: soit parce que la sexualité n’est pas permise dans l’institution où elles sont logées, soit parce qu’elles n’ont pas les moyens physiques d’accéder au plaisir sexuel, soit encore parce qu’elles évoluent dans une détresse psychologique qui les laisse démunies face à la sexualité. La question du handicap est ainsi habilement intégrée dans celle, plus vaste, de la «?misère sexuelle?» à laquelle chacun peut se trouver confronté un jour. ?? Vers une justice sexuelle? N. Campagna souligne que cette misère pouvait parfaitement demeurer en dehors de la sphère juridico-politique tant que la sexualité restait dans le secret des chambres à coucher. Mais les sociétés occidentales sont devenues hypersexualisées depuis les années 1970 et l’idée d’un «?droit à une vie sexuelle?» fait désormais l’objet de revendications fortes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît même la «?santé sexuelle?» comme un droit des individus et comme un devoir des sociétés à leur égard. Bref, il devient difficilement tenable pour le législateur de faire la sourde oreille. ?Pour faire progresser le débat, le philosophe se réfère à la notion de «?capabilités?» forgée par Amartya Sen et Martha Nussbaum. Pour ces derniers, la justice suppose que l’accès aux mêmes choses soit garanti à tous, qu’il s’agisse par exemple d’éducation, de mobilité ou de sécurité. Parmi les dix capabilités énumérées par M. Nussbaum figure en bonne place «?l’intégrité corporelle?». Celle-ci comprend notamment le fait d’être protégé des violences sexuelles et «?d’avoir des opportunités de satisfaction sexuelle?». Il ne s’agit pas d’inciter quiconque à faire l’amour, mais plutôt mettre à disposition des «?opportunités?», qu’il revient à l’individu de saisir ou non, avec succès ou pas. «?En ce sens, poursuit N. Campagna, il faudrait que la législation actuelle évolue et que l’offre de services de nature sexuelle soit reconnue comme une profession.?»Cette profession serait réglementée?: seule une formation y permettrait l’accès, comprenant des cours de psychologie, d’hygiène, de comptabilité ou d’autodéfense. Des assistant(e)s sexuel(le)s pour tous, en somme, éventuellement remboursés par la Sécurité sociale. ?? Assistance ou prostitution??? En France, ce type de proposition devrait rester longtemps lettre morte. Le terrain est miné, car l’assistance sexuelle, tarifée, est souvent assimilée à de la prostitution. Or, en juin 2012, dès sa nomination, la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé sa volonté d’instaurer l’interdiction totale de la prostitution et la condamnation des clients. Le collectif féministe Handicap, sexualité, dignité craint aussi qu’un dispositif d’assistance sexuelle conduise à une ghettoïsation des personnes handicapées. Dans une tribune, il plaide pour un projet «?plus ambitieux?»?: «?L’accès de ces personnes à une vie sociale, leur sortie vers l’extérieur et non leur enfermement verrouillé auprès de quelques “aidant(e)s”.?» ?Il reste que l’on peut légitimement se demander si l’accès au sport, aux loisirs et à la culture suffit à remplacer des caresses et des baisers. L’intime aussi mérite attention, alertent aussi bien M. Nuss que N. Campagna. Car s’il est nié, il peut devenir source de souffrances réelles. Leurs deux livres nous apprennent que dans les faits, officieusement, les choses se passent… et souvent mal?: violences, frustrations, humiliations en tous genres sont le lot commun. Sans compter le dilemme, solitaire et douloureux, des proches de personnes handicapées?: une mère doit-elle rester sans rien faire face à la supplication d’un fils, ou bien se rendre coupable d’un «?inceste charitable?» (M. Nuss) en acceptant de le masturber?? Un soignant dérape-t-il en prodiguant une caresse génitale?? Il est compliqué de répondre catégoriquement. Mais en restant muette face à ces questions délicates, la société fait vraisemblablement payer à quelques-uns le prix psychologique le plus fort.
Mots-clés SEXUALITE / HANDICAP
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Langue Français

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