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Fonds documentaire : Article
Titre De la «manie ébrieuse» à l'addiction alcoolique
Source Sciences humaines
Date de parution 01/11/2012
Commentaire C’est au XIXe siècle que l’alcoolisme commence à être perçu comme une maladie. Dangereuse pour le buveur, certes, mais avant tout pour l’ordre public et la stabilité politique. Avant d’être considéré comme un trouble somatique, l’alcoolisme était perçu comme un trouble mental. La folie fut en effet nourrie, selon les Anciens, du lait de deux nymphes charmantes?: Mététis, l’ivresse, et Apédie, l’ignorance. C’est dire si folie et alcoolisme ont partie liée depuis longtemps. La généalogie des «?découvreurs?» de la maladie alcoolique commence pourtant avec le XVIIIe siècle. Alors que le vin et les alcools distillés composent encore la base de la pharmacopée, les médecins des Lumières commencent à s’inquiéter de la «?déraison?» que provoque l’usage alcoolique. Le docteur américain Benjamin Rush (1746-1813), professeur de théorie médicale et de pratique clinique à l’université de Pennsylvanie, étudie «?les effets de l’alcool sur la pensée et le corps humain?». Pour la première fois, l’usage de l’alcool est considéré au point de vue de ses conséquences sur la santé et la dépendance. Mais seules les formes les plus spectaculaires – les accidents nerveux et psychiques – sont prises en compte. L’Anglais Thomas Sutton, en 1813, isole le delirium tremens du large groupe des frénésies, pour désigner les accidents causés par les excès alcooliques.? En France, le fondateur de la psychiatrie moderne, Philippe Pinel (1745-1826), n’a fait qu’entrevoir le problème?: parmi les cinq types d’aliénation mentale qu’il dégage, «?l’idiotisme?» pourrait «?tenir à des causes variées, l’abus des plaisirs énervants, l’usage des boissons narcotiques…?». À Bicêtre ou à La Salpêtrière, les travaux de ses élèves et successeurs précisent les effets de l’alcool sur le système nerveux. Ils font de l’éthylisme une des catégories de la folie, parlant d’ailleurs d’œnomania, de «?manie ébrieuse?» ou de «?monomanie d’ivresse?». Le terme de «?dipsomanie?» comme une pulsion irrésistible à consommer est également employé.? Il faut attendre le professeur suédois de médecine mentale Magnus Huss (1807-1890), qui a d’ailleurs travaillé en France, pour définir une nouvelle maladie. L’Alcoolisme chronique, titre de son ouvrage de 1849, se distingue radicalement de l’alcoolisme aigu, désigné comme l’ensemble des «?symptômes prochains et immédiats qui se produisent dans le système nerveux à la suite de l’ivresse et jusque-là désignés comme delirium tremens?». L’alcoolisme chronique reçoit une définition qui fera désormais autorité?: il «?consiste en une intoxication progressive, dépendante de l’absorption directe du toxique par le sang ou de l’altération de celui-ci?». M. Huss a le mérite de décrire avec finesse le phénomène d’empoisonnement progressif du sang par l’alcool, et le processus de lésion du système nerveux qui lui fait suite. ? Les troubles mentaux d’origine alcoolique constituent désormais une piste essentielle de la recherche médicale. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, toutes les formes – aiguës, subaiguës et chroniques – de la pathologie psychiatrique de l’alcoolisme sont identifiées, classées, décrites. Les classifications des formes d’alcoolisme se multiplient?: jusqu’à nos jours, on peut en remarquer une cinquantaine. Elles nourrissent les débats de la science fondée dans les années 1940 par l’école américaine d’Elvin Jellinek?: l’alcoologie. ? Bien plus, la psychiatrie mesure désormais toutes les formes de dépendance à l’aune de l’alcoolisme. Ainsi naissent l’«?éthérisme?» (1870), le «?morphinisme?» (1877), le «?tabagisme?» (1880), la «?cocaïnomanie?» (1890), en attendant l’inscription au tableau général des «?toxicomanies?» (1895). À chaque fois, un produit, introduit dans le sang par voie digestive ou cutanée, intoxique les organes et le cerveau et détermine une conduite de dépendance. Et c’est ainsi que la consommation d’alcool, jugée à un moment donné excessive, passe du statut de maladie mentale de l’individu à celui de «?fléau social?», c’est-à-dire de maladie sociale, véritable sociopathie.? Le docteur Louis Villermé, véritable porte-parole du mouvement hygiéniste des années 1820-1840, avait déjà désigné l’alcool comme fauteur de troubles?: «?L’ivrognerie rend l’ouvrier paresseux, joueur querelleur, turbulent?; elle le dégrade, l’abrutit, délabre sa santé, abrège souvent sa vie, détruit les mœurs, trouble et scandalise la société et pousse au crime. On peut l’affirmer, l’ivrognerie est la cause principale des rixes, d’une foule de délits, de presque tous les désordres que les ouvriers commettent ou auxquels ils prennent part. C’est le plus grand fléau des classes laborieuses.?» L’ordre public dépend donc de l’ordonnancement hygiéniste. Les psychiatres – on parlait encore d’aliénistes – prennent la tête de l’action antialcoolique, puisqu’ils sont les théoriciens de l’alcoolisme.? Cette théorie de la folie alcoolique amenant à une dangerosité sociale majeure (d’où la notion de «?populations à risque?») continuera à conduire l’action et la législation antialcooliques. Dans les années 1940, E. Jellinek propose l’hypothèse de travail suivante, ouvrant ainsi la voie à une systématisation de l’alcoolisme comme agent de désorganisation sociale?: «?Dans les groupes sociaux ne tolérant que de faibles consommations quotidiennes d’alcool, seuls des individus qui, en raison d’une grande vulnérabilité, ont tendance à s’opposer à ces normes sociales courent un risque d’intoxication. À l’inverse, dans les groupes sociaux qui autorisent de fortes consommations journalières, il suffit de présenter une vulnérabilité mineure, d’ordre psychologique ou physique, pour être exposé à ce risque.?» En France, zone de risque majeur, il en sortira la loi de 1954 sur les alcooliques dangereux, et le débat sur les placements d’office en hôpital psychiatrique.
Mots-clés ADDICTOLOGIE / ALCOOLISME
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Langue Français

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