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Histoires d'embryons et embryons d'histoires
Les représentations du corps et de la procréation sont au coeur du fonctionnement et de la structuration de nos sociétés. Au moment où les projets d'établissement de la filiation par des tests génétiques agitent les esprits, ces ouvrages d'histoire ou de médecine, soulignant la complexité de ces notions de procréation, de parenté et de parentalité, peuvent nourrir intelligemment le débat.
, Quotidien du médecin (Le)
, Martineau Caroline
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05/11/2007
Type |
Article |
Titre
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Histoires d'embryons et embryons d'histoires
Les représentations du corps et de la procréation sont au coeur du fonctionnement et de la structuration de nos sociétés. Au moment où les projets d'établissement de la filiation par des tests génétiques agitent les esprits, ces ouvrages d'histoire ou de médecine, soulignant la complexité de ces notions de procréation, de parenté et de parentalité, peuvent nourrir intelligemment le débat.
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Source
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Quotidien du médecin (Le)
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Auteurs
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Martineau Caroline
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Date de parution
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05/11/2007
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Commentaire
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À LA BASE du colloque multidisciplinaire organisé par des universitaires suisses, l'idée que les représentations de l'embryon sont le miroir de l'époque qui les produit. Les contributions d'historiens, de médecins, de philosophes, et même de muséologues, témoignent de la véracité de ce constat (« l'Embryon humain à travers l'histoire - Images, savoirs et rites »). En donnant quelques jalons historiques pour comprendre l'embryon humain, Véronique Dasen et Jean-Louis Fischer, à l'origine de ce travail collectif, espèrent faire avancer le débat généré par les nombreuses et épineuses questions que se pose notre société occidentale sur la gestion du développement prénatal (clonage, tri d'embryons, etc.), la définition de la filiation ou les nouveaux champs de la parentalité.
Les textes, largement illustrés, analysent, pour commencer, les représentations figurées de l'embryon, de l'Egypte ancienne à l'époque contemporaine. Le lecteur médusé passe de l'observation des gemmes magiques utilisées par les femmes antiques, amulettes en pierres précieuses destinées à lutter contre les peurs et les risques de la procréation, à l'usage de l'iconographie de l'embryon sur Internet. Jean-François Ternay, spécialiste de la relation entre science et médias, montre que l'image de l'embryon y est largement manipulé pour soutenir le propos de tel ou tel groupe de pression : esthétisé par les uns, sacralisé ou précarisé par les autres, selon leurs intérêts. Caroline Schuster Cordone, historienne de l'art, propose une réflexion sur la face occulte de la maternité, avec de passionnants développements illustrés sur les liens entre vieillesse et fécondité, sur l'image ambiguë de la vieille femme enceinte ou allaitant, dont la maternité est synonyme de transgression et de marginalité et dont l'impudicité dans l'imaginaire du Moyen Age et jusqu'à la Renaissance rejoint celle de la sorcière maléfique tueuse de petits enfants.
Des amulettes à l'échographie foetale. La représentation contemporaine de l'embryon n'a plus grand chose à voir avec celle d'hier ; sa définition non plus. L'historien et helléniste Jérôme Wilgaux, dont le travail est centré sur les normes et les pratiques en matière de parenté, analyse la manière de concevoir l'origine de l'embryon et la parenté dans le monde grec. La définition de l'embryon évolue, on le voit, au fil des contextes culturels. L'embryon du monde antique n'est pas celui du XXIe siècle. Des gemmes du monde antique aux images échographiques foetales en 3D, il y a en effet un saut vertigineux qu'analyse Patrick Triadou, médecin de santé publique, en soulignant le bouleversement généré par cette technique dans la pratique de l'obstétrique, mais aussi dans l'imaginaire de la femme enceinte et celui de son entourage. La technique modifie aussi la temporalité, note quant à elle l'historienne Véronique Mauron. Pour des parents stériles, le temps de la stérilité contamine celui de la gestation, et cette modification de la temporalité est encore plus intense lorsque l'enfant permis par l'assistance médicale à la procréation (AMP) est issu d'un embryon cryoconservé, parfois depuis des années.
C'est à ces techniques d'AMP qu'Agnès Ménard, spécialiste de la stérilité, consacre son ouvrage (« Un bébé nommé désir »). Causes de l'infertilité ou de la stérilité, techniques d'aide à la procréation, explications simples sur le don d'ovocyte, le diagnostic préimplantatoire ou les grossesses multiples sont autant d'aspects abordés dans cette synthèse pratique et grand public. Un chapitre est consacré à la législation, aux bases légales de l'AMP, aux lois de bioéthique et aux bases de l'établissement de la filiation pour guider au mieux les futurs parents dans le labyrinthe de ces prouesses techniques dont l'objectif, comme le rappelle l'auteur, «n'est pas de fabriquer le vivant mais de corriger les carences existantes chez l'un ou l'autre des conjoints infertiles».
Extraits de naissances. On peut discuter à l'envi pour savoir quand commence la vie, ce qui distingue l'embryon du foetus, quand l'enfant est là, l'émotion surgit, «pure, intacte, violente, animale parfois», écrit Michaël Serfaty, gynécologue-obstétricien (« De 0 à 5 jours - La naissance accompagnée »).
Une émotion intense, aux multiples expressions, malgré la froide rigidité technique et médicale de l'environnement hospitalier ; tellement intense qu'elle parvient à faire disparaître le décor, tant la naissance d'un enfant est un événement vertigineux et incomparable, souligne ce praticien qui est aussi un photographe talentueux. Spectateur privilégié, ce professionnel de la naissance a longtemps hésité à apporter son appareil en salle de travail, puis a passé le pas avant de décider d'arrêter son activité d'obstétricien. Pour témoigner «du caractère exceptionnel de ces petits instants suspendus», mais aussi de la certitude que, plus la nécessité médicale est forte, «plus elle doit se faire discrète et chaleureuse». Avec ces photos en noir et blanc, on partage aisément l'émerveillement, parfois inquiet, de Michaël Serfaty devant ces mères et leur nouveau-né et l'on perçoit aussi, entre les lignes, une certaine amertume face à l'insuffisante reconnaissance des difficultés et sacrifices exigés par ce métier d'obstétricien. Aux antipodes des mises en scène d'Anne Geddes et de ses bébés dans les fleurs.
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