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Fonds documentaire : Article
Titre L'autoformation, une auberge espagnole
Source Sciences humaines
Auteurs Jardin Evelyne
Date de parution 01/05/2003
Commentaire Autoformation sociale, éducative, existentielle, cognitive... cette notion polysémique est devenue centrale dans notre société individualiste. Brigitte est en seconde. Elle a choisi l'économie en option parce qu'elle veut faire du commerce international avec la Chine. En début d'année, par petits groupes, son professeur les a initiés à la recherche documentaire au CDI (centre de documentation et d'information) pour qu'ils puissent « se débrouiller seuls dans leurs recherches d'informations ». Leur professeur a pratiqué ici un type d'autoformation dite « éducative ». Brigitte est très contente de cet enseignement car elle a découvert de nouveaux ouvrages et des sites Internet sur la Chine. Elle va pouvoir pratiquer une autoformation « intégrale », seule chez elle. En dehors du lycée, Brigitte suit des cours de cantonais depuis deux ans. C'est une forme d'autoformation dite « sociale ». Grâce à sa mère qui fait de la généalogie, elle a appris que l'un de ses ancêtres importait de la soie de Chine sous Louis XIV. Sa mère s'adonne à une forme d'autoformation dite « existentielle ». L'autoformation, c'est un peu l'auberge espagnole, avoue le spécialiste en la matière, Philippe Carré (1), et l'exemple précédent nous en donne une illustration. Aussi, la limiter à une méthode pédagogique, comme celle de l'entraînement mental développée par Joffre Dumazedier (voir l'encadré, p. 18), est extrêmement restrictif. Alors qu'est-ce que l'autoformation ? Bien sûr, c'est apprendre par soi-même mais c'est surtout, selon la définition de P. Carré, un processus individuel et/ou un fait social. Voyons comment se déclinent ces deux problématiques. - Sous l'angle de l'individu, l'autoformation peut, tout d'abord, permettre d'« apprendre à être » ou d'« apprendre à produire sa vie » par, selon l'expression de Gaston Pineau, « une appropriation par le vivant de son pouvoir de formation ». L'homme est ici considéré comme un être apprenant toute sa vie, des autres mais aussi de son environnement. Dans cette acception, G. Pineau assimile l'autoformation à « un processus vital, ontologique, de mise en forme de l'être » (2). - Toujours d'un point de vue individuel mais cette fois dans une version moins essentialiste, l'autoformation intégrale consiste à apprendre hors des systèmes éducatifs. C'est ce que l'on appelle communément l'autodidaxie. Par la lecture de livres ou de revues (dont Sciences Humaines), l'écoute ou le visionnage d'émissions de radio ou de télévision, de cassettes audio ou vidéo, l'individu peut se former à l'économie, la sociologie, la psychologie, etc. - Enfin, l'autoformation est cognitive lorsqu'elle se donne pour mission d'apprendre de façon autonome. Cet aspect est très développé dans les pays anglo-saxons, note P. Carré. En France, on parlera de self-learning et de développement des compétences de l'apprenant. Voilà pour la face individuelle de l'autoformation. Mais elle est aussi sociale et ceci apparaît souvent de façon moins évidente. - Lorsque l'on apprend dans des dispositifs ouverts, comme Brigitte au CDI avec son professeur d'économie, ou lorsque l'on pratique l'anglais dans un centre multimédia sous la bienveillance d'un enseignant, on se situe dans une nouvelle forme d'autoformation. Elle est dite éducative lorsque que l'on apprend par soi-même, accompagné d'un formateur devenu « facilitateur ». - Enfin, lorsque Brigitte suit des cours de cantonais hors du système scolaire, elle pratique une autoformation qualifiée par P. Carré de sociale. Dans un cadre collectif ou coopératif (comme par exemple les réseaux d'échanges de savoirs (3)), ce type d'apprentissage est fortement relié aux autres, à la différence de l'autodidaxie où l'individu est relativement seul. Bref, lorsque l'on parle d'autoformation, « idée polysémique » par excellence selon P. Carré, on n'est pas sûr de bien s'entendre tant les versions sont nombreuses. Comment expliquer cette extrême diversité ? En fait, tout est question de point de vue. Si l'on se place du côté des apprenants, penser autoformation renvoie immédiatement à l'autodidaxie. Si l'on est du côté des formateurs, alors on s'intéressera aux aspects cognitif ou éducatif. Chez les gestionnaires des ressources humaines, on sera confronté à l'autoformation sociale, celle que l'on appelle la « formation sur le tas », transmise par les pairs sur le lieu de travail et dans l'activité professionnelle. Enfin, si l'on adopte le point de vue des sociologues, alors on s'interrogera sur les raisons de la montée en puissance de ce concept depuis les années 90. L'autoformation, un enjeu de société Selon P. Carré, l'autoformation est devenue un enjeu de société par la convergence de quatre éléments. - Avec l'accroissement de la concurrence entre les entreprises s'est posée avec une plus grande acuité la question de la maîtrise des coûts de formation et de la rentabilité. Or, les organisations ont découvert qu'elles pouvaient stimuler l'autoformation sociale, c'est-à-dire (ré)apprendre à leurs employés à se former eux-mêmes sur leur lieu de travail. De plus, « les responsables de l'enseignement supérieur, confrontés à l'équation impossible de la démographie étudiante et des besoins de formation universitaire dans un contexte de restriction budgétaire, encouragent le développement de dispositifs et de pratiques d'autoformation à l'université », constate P. Carré. Bref, enseigner aux individus à apprendre par eux-mêmes est une source d'économie de dépenses de formation. - A ce motif d'ordre économique s'adjoignent des éléments technologiques. Les nouveaux outils d'information (radio, télévision) et de communication (Internet) mettent le savoir à disposition et la généralisation de la micro-informatique a facilité l'individualisation de l'apprentissage. Les entreprises, selon P. Carré, ont surfé sur cette vague pour valoriser le « sujet-apprenant ». Il est désormais techniquement plus facile de s'autoformer (à un logiciel, par exemple)... ce qui ne signifie pas que cela soit accessible à tout le monde ! - Les promoteurs de pédagogies alternatives (méthodes Freinet, Motessori, Decroly, etc.), « basées sur l'activité de l'apprenant, ses projets, ses choix dans les activités et la mise à disposition de ressources variées et adaptées », ont indéniablement aussi contribué à la valorisation des pratiques d'autoformation. Refusant les méthodes pédagogiques basées uniquement sur l'instruction et la transmission des savoirs, autrement dit sur le remplissage des têtes, l'éducation nouvelle s'est employée à promouvoir l'appropriation des savoirs en valorisant le sujet-apprenant. Longtemps appliqués à la formation initiale, ces principes ont été étendus aux adultes en formation notamment grâce aux travaux de J. Dumazedier. Il aimait à citer dans ses ouvrages l'expérience québécoise dont il avait été témoin en 1969 (4). Dans la région du lac Saint-Jean, 30000 Québécois s'étaient vu proposer de suivre une formation via la télévision. Tous les matins et tous les soirs, ils suivaient deux heures d'émissions animées par des professeurs dans des matières variées. Et toutes les fins de semaine, ils pouvaient discuter avec les professeurs des problèmes rencontrés, des éléments mal compris. Dans ce cas, l'autoformation avait tellement réussi que les apprenants s'étaient mis à discuter entre eux. D'individuelle, l'autoformation était devenue collective et ce, sur une échelle jamais atteinte. - Enfin, quatrième et dernière raison à l'essor de l'autoformation, la « culture de l'autonomie ». Plus évidente encore dans les pays anglo-saxons, cette vision du monde qui place le sujet au centre de la société... et de la formation fait de l'émancipation des êtres des institutions (en l'occurrence de l'école), de l'autorité (de l'enseignant ou du formateur) sa valeur suprême. On peut y voir de l'individualisme outrancier (le « je » passant désormais avant le « nous »), du libertarisme à tout crin (la liberté avant toute chose)... Selon J. Dumazedier (5), il faut y voir de la participation, du lien social (comme dans l'expérience du lac Saint-Jean). « L'individu traditionnel, soumis aux pouvoirs discrétionnaires des institutions, est devenu un sujet social participant, actif, négociateur du pouvoir institutionnel... » Bref, on est passé à une « société des individus », selon l'expression de Norbert Elias. « Recherche de gains de productivité dans la formation, mutations sociotechniques et technologiques, évolution de la pensée pédagogique et mouvement d'autonomisation des sujets sociaux sont donc les quatre vecteurs qui sous-tendent l'éclosion à grande échelle des pratiques et des théories de l'autoformation des adultes aujourd'hui », conclut P. Carré (6). Cette notion est-elle nouvelle ? Non, elle puise ses racines dans l'autodidaxie ouvrière de la fin du xixe siècle, puis dans les mouvements associatifs d'éducation permanente des années 30 à l'après-guerre (7) et dans l'histoire des pédagogies dites alternatives. La nouveauté, selon P. Carré, « tient sans doute à la convergence actuelle de forces disparates, économiques, sociales et pédagogiques, dont la synergie favorise l'essor des pratiques d'autonomisation des sujets sociaux sur le champ de la formation ». NOTES 1 P. Carré, L'Autoformation, Puf, 1997. 2 P. Galvani, Éducation, n° 2, février-mars 1995. 3 P. Portelli, « Un réseau d'échanges réciproques de savoirs : un lieu de pratiques sociales d'autoformation individuelle et collective ? », Éducation permanente, n° 122, janvier 1995. 4 J. Dumazedier, Penser l'autoformation, Chronique sociale, 2002. 5 J. Dumazedier, « Émergence du sujet social et pratiques d'autoformation permanente », colloque international « Éducations, temps, sociétés », Caen, 1993. 6 P. Carré, L'Autoformation, op. cit. 7 J. Dumazedier, « Autoformation, pourquoi aujourd'hui ? », in A. Moisan et P. Carré, L'Autoformation, fait social ?, L'Harmattan, 2002.
Mots-clés FORMATION / PEDAGOGIE
Langue Français

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