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Jeunes suicidaires : le double rôle du Web
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18/11/2008
Type |
Article |
Titre
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Jeunes suicidaires : le double rôle du Web
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Source
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Le Monde
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Auteurs
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Laronche M
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Date de parution
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18/11/2008
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Commentaire
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Internet représente-t-il un danger, ou au contraire une aide, pour les jeunes qui y expriment l'envie de mourir ? Le décès, le 20 septembre, de deux femmes de 21 et 22 ans qui s'étaient jetées en voiture sous un train près de Toul (Meurthe-et-Moselle) inquiète. Unies dans un pacte suicidaire, les deux victimes se seraient rencontrées sur un forum de discussion d'un site d'entraide à la rubrique suicide. Ce drame rappelle une affaire similaire qui remonte à janvier 2005. Deux adolescentes s'étaient jetées d'une falaise après que l'une d'elles eut exprimé à plusieurs reprises ses intentions sur son blog.
Ces faits divers tragiques ne doivent pourtant pas conduire à ne voir que la face sombre d'Internet. "Cette technologie peut représenter une très grande aide pour les adolescents souvent réticents à solliciter les adultes. Ils vont pouvoir aller y chercher des informations, des conseils, de l'aide en catimini", explique Maja Perret-Catipovic, responsable du Centre d'études et de prévention du suicide à l'hôpital universitaire de Genève. Mais, modère tout de suite la psychologue, Internet présente aussi un danger pour les adolescents suicidaires.
D'abord au travers des sites d'incitation au suicide, interdits par la loi française mais difficiles à contrôler. Mettre fin à ses jours y est présenté comme une solution simple, noble, et on y détaille les différents moyens possibles. Des forums proposent même d'échanger sur "votre méthode préférée".
L'autre danger réside dans le risque de récupération qui peut être fait de l'expression d'un désir de mort. "Cette technologie ne va pas rendre suicidaires les gens bien portants, mais elle va pouvoir être utilisée par les gens déprimés pour les renforcer dans leurs convictions morbides", explique Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, auteur de Virtuel mon amour (Albin Michel, 2008). Ce n'est pas forcément parce qu'un adolescent exprime sur un blog l'envie de mourir qu'il a réellement l'intention de le faire. "Les adolescents vont utiliser les nouvelles technologies pour explorer des aspects extrêmes d'eux-mêmes qu'ils vont proposer à autrui", poursuit Serge Tisseron.
Il est courant que les adolescents aient plusieurs blogs. Sur l'un, ils cultiveront leur côté morbide, sur l'autre, ils feront partager leurs goûts musicaux ou cinématographiques, sur un autre encore, leurs peines de coeur. Les jeunes apprennent au travers de ces blogs à jouer avec leurs différentes identités et cherchent avant tout à capter l'attention de leurs interlocuteurs, y compris en forçant le trait.
Le désir de mourir y est fantasmé. On projette sur son blog sa propre mort, comme on imagine avant de s'endormir son propre enterrement en s'apitoyant sur son sort. "C'est une activité très bénéfique pour les adolescents que d'exprimer leurs rêveries, estime Maja Perret- Catipovic. Confrontés à leur frustration, c'est une façon pour eux de se réparer narcissiquement. Le risque, quand ils l'expriment sur Internet, c'est la récupération qui peut en être faite." Ainsi, d'autres internautes peuvent être amenés à prendre ce désir de mort au pied de la lettre et à l'alimenter. "Internet est un bal masqué où tout le monde joue à emprunter des identités et à tenir des propos auxquels ils ne croient pas forcément, insiste Serge Tisseron. Il faudrait l'expliquer, dès les classes primaires, aux enfants."
Les règles qui régissent Internet ne sont pas les mêmes que dans la vie réelle. "Une rencontre peut y être réduite au plus petit dénominateur commun, sur lequel est bâtie l'illusion d'une communication totale", analyse le psychanalyste. C'est ainsi que des pactes suicidaires vont pouvoir se sceller.
Pour rencontrer les jeunes en souffrance, des soignants ont entrepris d'aller à leur rencontre sur Internet. "Les adolescents suicidants ont la particularité de refuser les soins, explique Maja Perret-Catipovic. Seulement 10 % vont arriver dans les centres spécialisés et 2 % rester en soins." En Suisse, l'association romande Ciao aide les jeunes suicidants sur son site www.ciao.ch. En France, Fil santé jeunes, un dispositif d'écoute téléphonique lancé par l'école des parents, a investi le Web depuis 2001.
Sur le forum santé, les jeunes font état de leur mal-être ou de leur envie d'en finir et reçoivent le soutien de leurs pairs. Les échanges font l'objet d'une modération a priori, c'est-à-dire qu'ils sont lus et approuvés par des professionnels avant d'être mis en ligne. Hors forum, les adolescents peuvent également poser des questions, dans un espace confidentiel, à des médecins et à des psychologues. Depuis septembre 2007, Fil santé jeunes est également présent sur Habbo, une communauté virtuelle fréquentée par 54 millions d'adolescents. L'avatar de Fil santé jeunes anime un groupe de discussion dans un bus virtuel, à raison de six sessions par semaine.
"Si on veut vraiment qu'Internet soit une aide pour les jeunes en détresse, il faut organiser leur accueil à la manière de ce que font Fil santé jeunes ou l'association Ciao", considère Xavier Pommereau, psychiatre, responsable du pôle aquitain de l'adolescence au CHU de Bordeaux. L'entraide au travers des discussions entre pairs sur un blog ou un forum apparaît très vite limitée. Et pour Xavier Pommereau, Il appartient aux pouvoirs publics d'organiser un ou des portails Internet animés par des professionnels.
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Fil santé jeunes, tél. : 3224 ou www.filsantejeunes.com.
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